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ticité, et que le célèbre philosophe écossais Dugald Steward alla jusqu’à en nier l’existence. Il fit un écrit pour prouver que cette langue et cette littérature avaient été fabriquées sur le modèle du latin et du grec par des brahmanes pleins de fourberie. Bientôt la vérité prit le dessus, et l’on vit briller tour à tour aux sommets de la science les noms de Fr. Schlegel en Allemagne et de Chézy[1] en France, puis ceux de W. Schlegel, qui fut en quelque sorte l’agitateur du sanscritisme, des deux Humboldt, de Grimm, de Wilson, de Bopp, qui par ses travaux d’analyse est devenu le maître auquel tous les nouveaux érudits devront longtemps encore demander les premières leçons. La génération née avec ce siècle a eu pour mission de compléter l’œuvre commencée par les hommes dont je viens de citer les noms. Elle l’a fait par deux découvertes presque simultanées, celle de la langue du Véda, qui donne le inscrit sous sa forme la plus antique, et celle de la langue appelée zende, dans laquelle sont écrits les livres sacrés de la Perse. Ce ne fut qu’en 1833 que l’on vit quelque chose des textes des hymnes védiques par le spécimen en vingt-sept pages qu’en publia Rosen[2]. La même année parut le grand ouvrage d’Eugène Burnouf sur un des livres de Zoroastre; ce commentaire eut pour résultat non-seulement de rendre au jour une des langues les plus importantes de l’antiquité, mais de prouver par un exemple la certitude des lois et des principes déjà posés par la philologie comparée, car la traduction et la reconstruction grammaticale du zend y étaient obtenues par l’application de ces lois à un idiome presque inconnu jusque-là. Il fut possible dès ce jour de reconnaître les époques relatives de la plupart des langues de l’Europe et de l’Asie, d’en démontrer la commune origine, de les comprendre sous des dénominations générales, enfin d’établir qu’elles sont indépendantes entre elles et par rapport aux langues sémitiques.

La plupart des noms que j’ai cités dominent de très haut tous ceux de la période où nous sommes; mais celle-ci compte de son côté des hommes qui ont contribué ou qui contribuent encore à la construction du grand édifice. La liste en est longue à l’heure présente. Pour faire comprendre l’immensité et l’énergie du travail qui s’accomplit depuis quarante ans dans la philologie, il suffira de dire que le réseau de langues et de dialectes qui enveloppe notre globe est dénoué maille par maille, qu’il n’en reste presque plus sur lesquels on ne possède des données suffisantes, que l’étude

  1. M. Müller a omis dans son ouvrage le nom de Chézy, pour qui fut fondée la chaire du Collège de France, et dont les leçons n’ont point été inutiles aux érudits allemands.
  2. La publication du texte complet du Rig-Véda fut faite plus tard par M. Max Müller, et la traduction française par M. Langlois, de l’Institut.