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rold, comme l’auteur du Songe d’une Nuit d’été et de cette Mignon qu’où joue à l’Opéra-Comique, plus spécialement épris des curiosités de son style, de ses inventions instrumentales; les autres, tels que Marschner, Richard Wagner, interrogeant davantage ses formes dramatiques. Nous avons montré l’air de Pizarre dans Fidelio servant par deux fois de type à Weber; voici qu’à son tour maintenant Weber crée au théâtre des effets qui seront reproduits. Ainsi, dans Euryanthe, aux dernières mesures d’un duo de haine et de rage entre Églantine et Lysiart succède immédiatement une ritournelle suave, éthérée, du hautbois, annonçant l’air d’Adolar. Meyerbeer, dans Robert le Diable, n’a pas manqué de profiter de la leçon. Au déchaînement de toutes les furies de l’orchestre, Bertram vient à peine de plonger dans le gouffre qu’une ritournelle de hautbois, doucement exhalée dans l’atmosphère purifiée, annonce l’air d’Alice; même histoire pour Lohengrin, où le duo d’Ortrude et de Telramund est suivi d’un prélude analogue de hautbois préparant la venue d’Elsa sur le balcon.

C’est encore là un trait de caractère que Weber partage avec les romantiques de son temps, lesquels eurent également nombre de témérités dont ne se firent pas faute de profiter ceux qui leur succédèrent. Quels trésors Henri Heine n’a-t-il pas trouvés dans ce fonds de magasin aujourd’hui démodé, et dont l’historien littéraire est en quelque sorte seul à connaître l’existence! A Weber échut une fortune refusée aux autres : ses ouvrages ont survécu; tout le reste est mort, oublié, eux persistent; dire qu’ils n’ont pas vieilli serait trop peu, il semble qu’ils rajeunissent, et que chaque jour se resserrent davantage leurs rapports avec les générations. Quand il n’y en a plus, nous en voulons encore. En vain le cycle entier est parcouru, on y revient. Freischütz, Euryanthe, Oberon, que de sensations ces chefs-d’œuvre-là représentent! Quel dommage qu’on n’en puisse pas doubler la somme, et qu’on aimerait à l’effacer de sa mémoire, cette admirable musique, pour en jouir tout à nouveau! Ce vœu de l’insatiable dilettantisme, un directeur de théâtre semble prendre à tâche de le réaliser. A l’en croire, tous les Freischütz qui depuis trente ans tiennent la scène ne seraient que de faux Freischütz. A l’ancien Odéon, à l’Opéra, au Théâtre-Lyrique même, illusions, mensonges! Aurions-nous donc, comme le poète dont je parlais tout à l’heure, entendu pendant près d’un demi-siècle la Fille mal gardée en croyant entendre de la musique de Weber? Il le faut croire et nous en féliciter. « Combien je vous envie, monsieur, pour les jouissances infinies qui vous sont réservées! » disait un jour Lamartine à quelqu’un qui lui confessait n’avoir point lu Shakspeare. — Sachons à notre tour apprécier tant de bonheur, et dans le cas