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mais qu’elle doit s’appuyer toujours sur les analyses et ne les pas perdre de vue un seul instant. Elle mettra donc en regard non-seulement les mots entiers d’une langue avec ceux d’une autre langue, ce qui bien souvent conduirait à de grossières erreurs, mais les élémens des mots tels que ces deux langues les présentent après que l’analyse les a séparés. Ainsi les racines des mots français seront mises en regard des racines des mots latins, et les terminaisons françaises en regard des terminaisons latines. De semblables parallèles se répétant pour toutes les langues et se croisant dans toutes les directions, on parviendra à rapprocher les langues entre elles et à en former des groupes naturels comme on avait groupé les mots en famille dans chacune des langues prises à part. J’appelle l’attention sur ce point capital, qui soulève, comme on le voit, une question de méthode, car je ne puis être ici entièrement d’accord avec M. Müller. L’auteur anglais pense que les familles de langues doivent être formées uniquement d’après les parties mobiles des mots, c’est-à-dire d’après les terminaisons, auxquelles les savans donnent le nom de flexions grammaticales, et il ne tient presque point compte des racines. Il veut donc que l’on réunisse en une même famille les langues qui présentent les mêmes flexions, et que l’on sépare celles dont les flexions sont différentes. Je crois que le principe n’est pas absolument vrai et que l’auteur l’applique d’une façon trop exclusive. L’expérience prouve en effet que les racines étrangères ne s’introduisent jamais qu’en petit nombre dans quelque langue que ce soit, qu’elles y restent à peu près isolées et n’y forment point de familles de mots. Ces mots solitaires ont presque toujours leur histoire, et il est souvent possible de déterminer l’époque où ils se sont introduits. Si un peuple conserve en général sa grammaire, il conserve aussi ses racines, il n’en perd et n’en reçoit du dehors qu’un nombre borné. Les racines sont même l’élément le plus stable des langues, car ce sont elles que nous voyons passer, le plus souvent sans déformation, d’une langue ancienne à une langue moderne, tandis que les flexions subissent dans ce passage les plus profondes altérations. Nous croyons donc utile dans la classification générale des langues de considérer les racines non moins que les élémens grammaticaux et d’employer concurremment les uns et les autres dans la détermination des familles naturelles. Il ne sert à rien de dire qu’une langue pourrait changer toutes ses racines et rester dans la même famille, pourvu qu’elle conservât intactes ses déclinaisons et ses conjugaisons, car la science du langage n’a pas besoin de ces hypothèses exagérées que les faits ne confirment point. En réalité, quand deux langues ont la même grammaire, elles ont aussi les mêmes racines : tels sont par exemple le