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C’est de cette idée de l’être en général, de l’être pur et indéterminé qui n’est encore l’être de rien, c’est, dis-je, de cette idée que Hegel a prétendu faire sortir la Logique et la Philosophie de la Nature ; c’est de ce néant qu’il s’est flatté de déduire tous les mouvemens de l’idée et le devenir triple et un de la nature, de l’homme et de Dieu. Se plaçant en face d’une abstraction, il l’a couvée de son brûlant regard et s’est persuadé qu’il en avait fécondé les entrailles mortes et vides. Comment s’est opéré le prodige? Le voici. C’est à son plein escient que Hegel pose une abstraction creuse comme premier principe de la pensée et des réalités. Il sait à merveille que ce qu’il nomme l’être pur n’est rien, puisque, pour le mieux définir, il emploie le terme de négatif-absolu. Il n’ignore pas davantage que son principe est aussi stérile qu’il est nul. Parvenus d’abstraction en abstraction jusqu’à l’unité suprême, non moins creuse que l’être indéterminé de Hegel, les néoplatoniciens renonçaient à la comprendre au moyen de leur raison. Ils n’osaient qu’en tremblant expliquer comment les êtres sortaient de ce qui n’était rien et n’avait aucun attribut. Et quand ils avaient hasardé une explication quelconque du mystère ineffable de l’émanation, ils se hâtaient de confesser la vanité et l’impuissance de leurs métaphores ou de leurs analogies. Hegel est plus hardi. Il constate bien que son être pur est identique au néant; mais en même temps il considère que cette identité renferme une contradiction, car enfin le néant est le contraire de l’être. Cette contradiction entre l’être et le non-être est comme un aiguillon qui sollicite l’esprit et le pousse à chercher un troisième terme où la contradiction de l’être et du non-être soit conciliée. Ce troisième terme, c’est le devenir. Par le devenir, l’immobilité fatale du premier principe est conjurée; par lui, le mouvement commence, et avec le mouvement l’évolution qui produira successivement toutes les formes de l’idée et de la vie. À cette théorie, originale à coup sûr, mais assurément étrange, on a fait deux objections. D’abord, a-t-on dit, entre l’être pur dont parle Hegel et son non-être, la contradiction n’est qu’apparente et n’existe pas, puisqu’il reconnaît lui-même qu’au fond son être pur n’est que le rien. Donc le premier ressort du mécanisme est chimérique ou se brise. Mais le passage de l’être indéterminé et immobile au devenir et au mouvement ne s’opérait qu’au moyen de cette contradiction prétendue. Ce passage est donc impossible. Entre l’être indéterminé et le devenir, il y a un gouffre. Ce gouffre, la raison toute seule qui ne connaît, selon Hegel, que l’abstrait, la raison ne peut le combler. Pour y jeter le devenir, Hegel a emprunté cette idée à une autre faculté que la raison, c’est-à-dire à l’expérience. Il est donc sorti des limites de sa propre méthode.