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dessein n’a pas été d’essayer une appréciation de l’hégélianisme tout entier; je me suis proposé seulement de chercher si la philosophie de la nature, que semblent appeler les désirs scientifiques du temps présent, peut prendre pour point de départ l’abstraction pure, s’enfermer avec succès dans une sorte de logique rationnelle et ne consulter qu’accessoirement la psychologie et les sciences naturelles. L’exemple de Hegel me semble avoir démontré le contraire. Je vais chercher maintenant si la théorie philosophique de l’univers fait mieux et plus sûrement son chemin lorsqu’elle part des sciences naturelles, et prétend tout déduire de l’observation des phénomènes matériels, même la métaphysique, même la psychologie.


II.

Le temps est passé où un homme osait se flatter de construire à lui seul et définitivement l’édifice d’une science. Des expériences mémorables ont démontré qu’aux entreprises encyclopédiques les forces intellectuelles de toute une nation, même de tout un siècle, ne suffisent plus. On peut du moins, après de longues études, ébaucher une science quand elle n’existe pas, et, quand elle existe, y ajouter quelque chose. Cependant, même pour celui qui réduit son ambition à ces proportions plus modestes, l’interprétation métaphysique de l’univers semble exiger dans un même esprit trop de dispositions différentes et trop de facultés diverses. Celui qui s’engage dans ces voies attrayantes et difficiles doit y apporter d’abord cet amour passionné de la nature qui rend habile à en provoquer et à en recueillir les plus intimes confidences. Il doit posséder à la fois une raison philosophique largement ouverte aux sciences positives et une intelligence scientifique capable d’entrer en société avec la philosophie sans mesquine jalousie, sans humeur querelleuse, surtout sans aucun secret dessein de n’embrasser son alliée que pour mieux l’étouffer. Les deux livres de M. Auguste Laugel intitulés l’un les Problèmes de la nature, l’autre les Problèmes de la vie, présentent par momens l’heureuse et rare union de ces qualités opposées. Ce n’est pas chose commune qu’un physicien, qu’un géomètre aimant la nature d’un amour ardent, mais idéal et pur, et trouvant, pour peindre les spectacles du monde visible, des expressions dont le charme et le coloris vont parfois jusqu’à la poésie. « Quel spectacle, dit M. Laugel, s’offre au savant familiarisé avec la notion féconde de la transformation des forces ! quelle séduisante simplicité parmi tant de traits épars et discontinus, sous tant d’apparences éphémères, qui pour le vulgaire demeurent sans