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nais-toi toi-même de Socrate, en le pratiquant à votre insu, vous l’avez une fois de plus justifié.

Cet usage à la fois permanent et inconscient des révélations psychologiques, ce recours involontaire aux notions qui viennent à l’âme de l’âme elle-même est plus visible, plus frappant encore dans cet ensemble de considérations sur la force que M. Laugel appelle sa dynamique. Cette partie de ses études a un caractère particulier, il est digne d’exciter l’attention des philosophes. Parmi les savans de profession de la présente époque, il en est peu, si toutefois il en est, qui osent, comme lui, envisager les puissances de la nature au point de vue métaphysique, pénétrer aussi hardiment au sein même de la conception de force afin de la développer et, s’il se peut, de l’éclaircir. Il n’est pas au nombre de ces singuliers amis de l’intelligence humaine qui s’imaginent la relever et la fortifier en lui arrachant le pouvoir d’atteindre jusqu’à la cause, c’est-à-dire en lui ravissant la plus féconde et la plus virile de ses énergies. Quelles que soient les différences regrettables qui nous séparent de M. Laugel, il mérite notre reconnaissance pour avoir respecté la raison humaine et l’avoir laissée complète et intacte. Il ne va pas sans doute jusqu’à prétendre que le monde invisible de la substance et de la force soit sans ténèbres et sans mystères; mais il y entre et tâche d’y contempler ce qu’il est donné à la méditation d’y entrevoir, a On ne comprend pas, dit-il, le changement sans un agent de changement, le mouvement sans un moteur, le phénomène sans la force. » Autant de formules, autant de vérités, ou, si l’on y prend garde, autant de formes variées, mais équivalentes, de ce qu’ailleurs on nomme le principe des causes. Au reste, le mot de cause ne l’effarouche pas plus que celui de force et de substance; sa plume le trace sans embarras. Il y a même des momens où il se sent si près de la science psychologique, qu’il se risque à employer certaines expressions de son vocabulaire. « S’il était permis, écrit-il, s’il était permis, à défaut de termes plus convenables, d’emprunter ici le langage de la psychologie, je dirais volontiers que la force est l’âme de l’univers. » On s’excuse ici d’emprunter les termes dont les psychologues ont coutume d’user, et l’on ne s’aperçoit pas que ce sont leurs pensées même que l’on adopte.

Le savant est dans le vrai lorsqu’il conçoit des agens, des moteurs, des forces derrière les actions, les mouvemens et les effets physiques. Toutefois, du moment où il procède en philosophe, il devrait se demander, en manière d’examen de conscience, à quelle école il a appris ce que c’est qu’un agent, une force, une cause. Serait-ce par hasard à l’école de la nature visible? Il le nierait, si