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sève dans chaque plante et chaque fleur, voltige dans chaque in- secte, rampe dans chaque reptile et remue dans chaque vertébré. Il a assisté à toutes les révolutions du globe, vu maintes fois les mers bouleversées, les montagnes surgir en ondes solides; mais pendant les crises les plus terribles il a défié la mort. » Voilà certes une image qui n’est pas dépourvue d’une certaine grandeur étrange; mais ce n’est point d’images qu’il s’agit ici. Écartons les voiles poétiques, brisons la statue bizarre et fantastique du grand Pan, que reste-t-il? Une pensée mille milliards de fois divisée en particules et en atomes. Comment cette pensée s’y prendra-t-elle pour penser? Ou bien chacun de ces fragmens de la pensée universelle pensera de son côté dans une. impuissance absolue de s’entendre avec les autres, et alors que deviendra l’ordre, où sera l’unité du monde? Ou bien tous ces fragmens de raison seront tous également intelligens, et dans ce cas ce n’est plus un seul grand Pan que vous aurez; Pan se nommera légion, et l’harmonie universelle demeurera encore inexplicable. Ou bien enfin la raison universelle, la pensée directrice et souveraine sera une, indivisible, spirituelle, au-dessus et en dehors de la totalité des êtres; mais dans cette troisième hypothèse Pan, au lieu de défier la mort, aura disparu comme l’une des plus grandes impossibilités que puisse rêver l’imagination philosophique. Il est vraiment des cas où la science du moi, de ce pauvre moi qu’on appelait tout à l’heure chétif et misérable, ne laisse pas que d’avoir quelque utilité. Demander à la psychologie le mot de toutes les énigmes métaphysiques, certes ce serait trop. D’autre part, nous comprendrions à la rigueur que l’on mît la science de l’âme de côté absolument et pour toujours; mais lui emprunter la notion de la pensée, de l’intelligence, de la raison, qu’elle seule peut offrir, et puis ne la plus écouter quand elle enseigne que la première condition de la pensée, c’est que le sujet pensant soit un, simple, sans parties, voilà qui ressemble beaucoup à une contradiction.

Les savans qui se moquent de la psychologie courent les mêmes dangers que les poètes qui rient aux dépens de Boileau. Comme le fond de notre conscience est après tout l’appui le plus solide de la certitude, lorsqu’on s’éloigne trop de cette terre ferme, on roule sur une mer mouvante, on a une sorte de vertige intellectuel, on écrit des phrases telles que celles-ci : « L’identité nécessaire du monde pensant et du monde étendu... ne sera jamais complètement visible; nous en avons parfois comme des perceptions fugitives. » Et plus bas : « Le destin de l’homme est de chercher plutôt que de trouver. » — « L’esprit scientifique a ses ivresses comme le mysticisme.» Oui, mais on se préserve de ces ivresses et de ces vertiges en re-