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sous les yeux d’un père vigilant et sévère que la religion attachait à tous les principes d’une probité rigoureuse; instruit dans l’art de l’intrigue par un de ses oncles, un vieil abbé qui suivait très habilement à la cour les intérêts de sa famille, tandis que ses frères et ses neveux en assuraient la gloire par l’éclat de leurs actions, le comte de Broglie ne tarda pas à développer un esprit actif, appliqué, laborieux, également propre à tous les soins de la guerre et aux négociations les plus mystérieuses, les plus étendues, mais un esprit inquiet, remuant et altier, ne sachant ni fléchir ni se détourner, quels que fussent les obstacles. » Ce fut son oncle l’abbé qui le désigna comme un auxiliaire précieux à Louis XV, et il fut nommé ambassadeur en Pologne.

Un jour de 1752, il reçut du roi ce billet : « Le comte de Broglie ajoutera foi à ce que lui dira M. le prince de Conti et n’en parlera à âme qui vive. » C’était son initiation. Il fallut un ordre réitéré pour vaincre sa répugnance et lui faire accepter ce rôle équivoque dont il pressentait les difficultés et les périls. Il allait représenter tout à la fois une politique officielle venant du ministère et une politique particulière venant du roi. Il avait pour mission à Varsovie non-seulement de servir les intérêts du prince de Conti, ce qui n’était après tout qu’une question secondaire, mais de surveiller les affaires du nord, de relever l’influence française, de rallier le parti national polonais en vue de la mort de l’électeur de Saxe, roi de Pologne, Auguste III, — et de la guerre qui, d’un instant à l’autre, pouvait se rallumer en Europe. Il réussit autant qu’il pouvait réussir; il remua la Pologne de son souffle, et il en fit même assez pour ne plus pouvoir rester à Varsovie après un éclat avec le comte de Brülh, ministre d’Auguste III. Quand il revint en France, il restait naturellement bien plus que le prince de Conti, dont l’intervention cessa bientôt, le conseil prépondérant, l’âme de cette politique secrète à laquelle il venait d’assurer une éphémère et stérile victoire en rallumant en Pologne une dernière espérance, en reconstituant une force dont on ne fit rien. Ce qui est certain, c’est que sous toutes les formes, ambassadeur ou ministre secret, il portait dans cette œuvre des vues neuves, hardies, originales sur les affaires de l’Europe, sur la situation réelle et sur les intérêts des diverses puissances. Il avait, comme dit encore Rulhière, « la passion de la gloire du nom français » et l’instinct de la grandeur des questions qui s’agitaient.

A un autre poste et dans d’autres conditions, le comte de Broglie eût été sans doute un des plus brillans ministres, un politique de premier ordre. Telle est la loi du pouvoir absolu : dans un temps où la sève aurait besoin de se raviver, où Louis XV lui-même remarque