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minuties, c’est là peut-être qu’il se révèle le mieux tel qu’il est, ne manquant pas de sens, d’une certaine connaissance des intérêts politiques, et même de bonnes intentions, ne se faisant pas d’illusions, mais plein de subterfuges, ingénument cynique parfois dans ses appréciations des hommes et des choses, et montrant toujours plus de velléités que de volonté.

Au moment où il essayait de dominer la fatalité de ce pouvoir absolu dont il était le représentant et la première victime, il la subissait plus que jamais, et il la retrouvait partout. Sa grande préoccupation était de défendre le secret dans lequel il s’enveloppait par une fantaisie souveraine, et qui était fort menacé à mesure que le cercle des initiés s’étendait. « Voilà bien du monde dans le secret, disait-il; je souhaite qu’il ne transpire pas. » Il craignait toujours, et ses collaborateurs partageaient souvent ses craintes. Toutes les précautions ne pouvaient empêcher des alertes qui se reproduisaient assez fréquemment. C’est dans un de ces momens de doute que Louis XV écrit au comte de Broglie : « Lebel est brouillé avec Jeannel parce que ce dernier a cru qu’il voulait me proposer un successeur, et l’homme n’aime pas cela, ce qui produit dans l’humanité de vilaines choses. Je réponds de Lebel, il répond des autres. Je ne sais si quelqu’un a trahi. Au demeurant, les grands aiment à tout savoir. Un ministre comme M. de Choiseul est plus à portée qu’un autre. Les grands se vantent aussi plus que d’autres. » Et un autre jour : « M. le duc de Choiseul peut avoir des notions, et il doit en chercher la certitude; mais il ne m’a rien dit du tout sur votre correspondance, ni ne m’en a parlé, et de là vous pouvez être très sûr qu’on vous a menti grossièrement ou que vous avez voulu me sonder. Du reste, je ne réponds sûrement que de moi... » Louis XV semblait rassurer cette fois le comte de Broglie et n’était pas lui-même toujours aussi rassuré dans cette atmosphère de dissimulation où il se faisait l’illusion d’avoir une politique à lui.

Le difficile en effet était de garder longtemps l’inviolabilité du secret, de dérober une œuvre qui supposait une sorte de ministère, des agens, une correspondance étendue et active, à tout un monde de curiosités intéressées à la pénétrer, à des maîtresses tyranniques, à des ministres jaloux et même aux gouvernemens étrangers, toujours à la recherche de mystères diplomatiques. Au commencement, on avait été plus intrigué qu’inquiet de ce manège où le roi semblait se jouer, et dont on ne devinait pas l’objet. Les soupçons ne pouvaient manquer de s’accroître et de s’aiguiser. Plus le roi semblait tenir à son secret, plus on redoublait d’efforts pour le lui arracher. Mme de Pompadour ne fut pas naturellement la dernière à prendre ombrage de ce mystère qui l’irritait, et dans lequel elle