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même la correspondance secrète, qui avait été, disait-on, un des motifs de la conduite de l’Autriche dans les affaires de Pologne. Ce qui achève le tableau, c’est que d’un côté le prince de Rohan surprenait tous les secrets de M. de Kaunitz, tandis que d’un autre côté M. de Mercy, ambassadeur d’Autriche à Paris, surprenait toutes les révélations du prince de Rohan et avertissait Vienne. C’était une jolie diplomatie! Le roi se sentit atterré. Sa dernière lettre est pour suspendre toute la correspondance. « A Vienne, on a découvert le chiffre avec Durand, écrit-il, et toute sa correspondance y est découverte avec le comte de Broglie. C’est le prince Louis qui me le mande secrètement. » Mais Louis XV ne vécut pas assez pour subir jusqu’au bout l’humiliation de voir tous ses petits secrets livrés à l’indiscrète curiosité de la France et de l’Europe. Quelques jours après, le 10 mai 1774, il était mort. L’instrument périssait avec l’œuvre pour laquelle il avait été fait et avec le règne.

La politique de la France est passée à bien des momens par bien des épreuves. Ce moment du XVIIIe siècle est peut-être le plus cruel, parce que c’est celui où les revers ont le moins de grandeur, où ils ne gardent pas même ce je ne sais quoi d’excitant qui est quelquefois la compensation des défaites imméritées. Il y a dans cette histoire plusieurs traits essentiels. On voit une politique secrète faisant la guerre à la politique officielle, la politique ostensible détruisant tout ce que peut faire la politique secrète, — l’une et l’autre conduisant à une impuissance définitive à travers des déceptions qui vont en se multipliant et en grandissant. Cette histoire montre encore qu’il y a quelque chose de pire qu’une erreur de politique, dont on se relève après tout : c’est l’absence de politique, c’est l’indécision érigée en système, parce qu’alors tout marche au hasard, tout se fait à contre-temps, et que les impatiences de l’orgueil blessé qui devancent l’occasion sont aussi dangereuses que les apathies qui la laissent passer. Un dernier trait enfin les résume tous et apparaît, non à la décevante lumière des théories, mais à l’irrésistible clarté des faits : je veux dire l’incurable faiblesse de la puissance absolue qui n’est même pas sûre de pouvoir le bien quand elle le veut, qui ne trouve dans ses fautes qu’un aiguillon l’excitant à des fautes nouvelles, et qui ne peut réparer les désastres qu’elle accumule. Il n’y a que la liberté qui guérit les blessures qu’elle fait ou les blessures que font les autres régimes, qui porte en elle-même la force de se rectifier, qui, dans les momens où tout s’affaisse et s’obscurcit, ranime la virilité d’une nation, et remet cette nation sur le droit chemin où elle retrouve, avec ses libres allures, le sentiment de son devoir, l’énergie des saines aspirations.


CHARLES DE MAZADE.