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de présenter ses devoirs au rajah de Quedah, souverain du pays. La fille du rajah s’éprit d’une passion soudaine pour les blonds cheveux et la fière prestance du marin étranger, ne lui fit point un mystère de sa flamme, et le bel aventurier devint, comme dans un conte de fées, l’époux de la princesse, qui lui apporta en dot l’île où il avait laissé son navire à l’ancre. En bon Anglais, le capitaine, qui s’appelait Light, s’empressa de faire hommage de son nouveau domaine à la compagnie des Indes, sous bénéfice d’une rente annuelle de 10,000 dollars, et il en resta le gouverneur jusqu’à sa mort en 1794. Bordée d’une étroite lisière de plage sablonneuse, l’île offrait partout l’aspect d’un impénétrable fourré qui semblait défier la hache, mais que Light trouva promptement moyen de nettoyer: il chargeait un canon avec un sac de dollars pour mi- traille, en montrant sa manœuvre aux Malais qui l’entouraient, puis il faisait feu au plus épais du hallier. Quinze ans plus tard un navire de 800 tonneaux était construit et lancé à cette même place, et le successeur du capitaine Light s’arrondissait en achetant au même rajah de Quedah, sur la péninsule malaise, une zone de littoral de 150 milles carrés qui coûta 2,000 dollars; elle reçut le nom de province Wellesley. Aujourd’hui le commerce de Pulo-Pinang s’élève annuellement à 100 millions de francs. Il n’est pas inutile de dire que pendant longtemps les dépenses avaient beaucoup excédé les recettes, puisqu’en 1819, année de la fondation de Singapore, l’établissement coûtait encore 2 millions, et n’en rapportait qu’un ; mais les Anglais n’en prirent point texte pour prêcher l’évacuation, bien que le voisinage de Shigapore condamnât irrévocablement Pinang à un rôle secondaire. Tout au plus y pouvait-on voir, pour me servir de l’expression consacrée, une des clés du détroit de Malacca; encore l’introduction de la marine à vapeur rendait-elle les avantages de cette situation à peu près illusoires, tandis que Singapore était le véritable centre du réseau formé par tous les détroits de la mer des Passages. Le nom de cette île ne nous est guère connu en France que comme le siège d’un séminaire fondé en 1811 par les Missions étrangères pour l’éducation des prêtres indigènes de l’extrême Orient. Plus de cent trente élèves de Chine, de Cochinchine, de Siam et du Tongkin y sont instruits et entretenus aux frais de l’œuvre par les contributions volontaires des fidèles, sans subvention d’aucun gouvernement, et Ton a peine à croire, en visitant l’établissement, que de tels résultats puissent être obtenus avec une chétive somme de 40 à 45,000 francs par an; la charité seule fait de ces prodiges. On pourrait aussi être étonné de voir cette école catholique s’abriter de préférence à l’ombre d’un drapeau protestant; mais jamais les