Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

passe en pareilles circonstances. Nous savons combien l’accord le plus horrible s’établit facilement, quand tout espoir leur est enlevé, entre les sauvages instincts des factions les plus opposées, quelle fumée de crime monte alors au cerveau des fanatiques et quels noirs complots s’agitent mystérieusement dans les bas-fonds de ces conciliabules en démence. Il n’y avait, hélas! rien de nouveau ni de bien extraordinaire dans les dangers que cette effervescence maladive des passions politiques faisait courir au premier consul. Ce qui était vraiment singulier, c’était, nous ne voudrions pas dire l’effroi, il n’en était guère susceptible, mais la violente surprise, la colère indignée, l’indicible irritation que lui causaient ces projets d’attentat contre sa personne, la plupart futilement conçus, misérablement organisés, et sur lesquels ses nombreuses polices avaient l’œil incessamment ouvert. Ce qui l’exaspérait surtout au dernier point, c’était de ne pouvoir douter que le parti royaliste n’eût, grâce à l’argent de l’Angleterre et par l’intermédiaire de quelques-uns de ses membres les plus déterminés, mis la main dans ces détestables menées. Tandis qu’après l’affaire de la machine infernale tout son courroux s’était tourné du côté de la faction jacobine, dont il avait déporté les principaux chefs, il jetait maintenant feu et flamme contre les partisans de la légitimité, devenus fauteurs de révolte et de meurtre. Il n’avait point de paroles assez dédaigneuses à l’égard de ces princes qui trouvaient plus commode de le faire assassiner que de le combattre. Cette colère était légitime. Ce qui l’était moins, c’était, à l’heure même où l’on faisait éclat d’une si juste indignation, de songer à rendre coup pour coup, meurtre pour meurtre; c’était de calculer froidement comment le cadavre d’un Bourbon jeté en pâture aux ennemis de la vieille monarchie pourrait servir de marchepied pour monter jusque sur le trône naguère occupé par le chef de cette famille, contre laquelle on méditait une si terrible revanche.

Rompre ouvertement, définitivement, avec les royalistes, anéantir leurs coupables manœuvres en les remplissant d’épouvante, donner le plus abominable, mais aussi le plus sûr des gages à tous les hommes de la révolution, surtout à ceux de ses partisans qui, ayant eu vent des communications échangées avec le comte de Lille et brouillés à mort avec l’ancien régime, redoutaient ou faisaient semblant de redouter qu’il ne s’accommodât un jour du rôle de Monk, tel fut le plan de conduite qu’une déplorable et fausse habileté fit adopter à Napoléon. Fut-il seul à le concevoir, ou de funestes conseillers eurent-ils la malencontreuse adresse de le pousser malgré lui vers cette tragique résolution, qui le sait? Une note écrite huit jours avant l’enlèvement du duc d’Enghien à Eistenheim, note très peu connue et qui n’a point encore été pu-