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mois que dura sa disgrâce sans se présenter au roi, car on lui avait dit la coutume du pays, « qu’il ne faut pas s’éloigner quand le roi est fâché, ni laisser à aller au palais par ordinaire, jusqu’à ce qu’après une longue patience le roi vous parle et vous remette en faveur. » Dangeau aurait-il mieux dit? Avec d’aussi heureuses dispositions, on peut penser que le marin courtisan n’avait garde de négliger les dames, qui s’enquéraient fort des reines et princesses de France, et principalement « de l’amour des dames de deçà et de la façon qu’elles y procédaient, car elles ne désiraient parler ni ouïr d’autres discours que d’amour. » Aucune sensiblerie déplacée n’altérait dans l’infortune la force d’âme de notre héros, si l’on en juge par le sang-froid avec lequel il nous détaille la mort de ses compagnons, à qui on trancha la tête à coups de caty, « qui est fait comme une grande serpe, au demeurant d’acier excellent, fort poli et bien ouvré. » Quant à lui, plus heureux, il réussit à s’évader et alla continuer ailleurs la série de ses aventures. Nous le retrouvons d’abord à Calcutta, puis emprisonné à Cochin par les Portugais, dont il ne tarda pas pourtant à devenir assez l’ami pour servir dans leurs troupes. Il pousse jusqu’à Ceylan, où il nous apprend que les habitans adorent une dent de singe, laquelle n’était évidemment autre que la célèbre Dalada dont nous avons parlé. De là il atteint les Moluques par Malacca, Achem et Java, et c’est en janvier 1610 seulement que, de retour à Goa, il y trouve enfin à s’embarquer pour l’Europe sur une caraque portugaise infestée, il a soin de nous l’apprendre, de ces abominables blattes, ravets ou cancrelas, qui n’ont pas cessé d’être le fléau de la vie de bord de nos jours, comme ils l’étaient au XVIIe siècle. Il ne revit la France qu’après avoir passé par Sainte-Hélène et par le Brésil. Sainte-Hélène n’était alors qu’une île inhabitée, « si petite que rien plus, » dit-il, sans autre construction qu’une chapelle où s’exerçait la rivalité religieuse des marins hollandais et portugais. « Ces derniers étaient les tableaux et images des Hollandais, de sorte que ceux-ci mirent un billet disant aux Portugais : Laissez nos tableaux et images, et nous laisserons les vôtres. Mais ils n’en firent rien, et ainsi tout fut rompu et gâté. » Les capitaines étaient dans l’habitude d’y déposer leurs malades, qui profitaient de la première occasion pour reprendre la mer après guérison. — Toutefois, ajoute Pyrard, on n’oserait y en laisser qui ne fussent malades, de peur qu’ils ne se rendent maîtres et propriétaires de l’île. Enfin, après douze mois de traversée portés on ne peut plus allègrement, notre voyageur aborde au port de La Rochelle le 5 février 1611, et il termine son récit par d’édifiantes réflexions, où il attribue ses malheurs aux matelots français, « les plus grands jureurs et blasphémateurs du nom de Dieu que l’on