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encore, je veux parler de l’éléphantiasis ou lèpre grecque, reste du terrible fléau qui a décimé les peuples pendant le moyen âge. Les malheureux qui en sont atteints sont affreux à voir ; leurs membres sont déformés, leurs visages hideux. Ils inspirent une telle répulsion, et l’on est si persuadé des propriétés contagieuses de leur maladie, qu’on les tuerait infailliblement comme des bêtes fauves, s’ils essayaient de sortir de l’enclos dans lequel on les tient rigoureusement enfermés, et où ils vivent au jour le jour des maigres provisions qu’on leur jette de loin. Or les parties de la Grèce où l’on observe les cas les plus nombreux d’éléphantiasis sont précisément celles où les roches magnésiennes dominent dans la composition du terrain. À l’entrée des ravins de Sousaki, au pied des talus ravinés de serpentine et de dolomie, se trouve une plage couverte de débris de ces deux roches. En cet endroit, il existait encore, il y a quelques années, un village habité par une quinzaine de familles qui, à la fin de la guerre de l’indépendance grecque, étaient venues s’y fixer, attirées par la fertilité du pays. Tous les membres de cette colonie naissante se sont vus successivement atteints de la lèpre ; aujourd’hui le village est désert, les maisons sont en ruine. Il est impossible de ne pas être frappé de cette coïncidence remarquable entre la nature du sol et le développement de la cruelle endémie, et de ne pas être tenté d’attribuer à la même cause l’origine du goitre dans les Alpes et de l’éléphantiasis en Grèce[1].

La soufrière de Sousaki, située à quelques kilomètres de Calamaki, est le siège de dégagemens gazeux très actifs, et présente tous les caractères qui révèlent une communication permanente de la surface avec les profondeurs du sol. On y a tenté l’exploitation du soufre, mais jamais l’extraction du minerai n’y a été opérée d’une façon suivie. Le peu d’abondance de la matière exploitée et surtout la présence de gaz délétères ont toujours promptement arrêté les travaux commencés. La serpentine se montre encore çà et là au bas des escarpemens, surmontée d’assises calcaires. Ici l’altération des roches est bien plus prononcée encore que dans tout le voisinage. Le calcaire est presque entièrement transformé en gypse ou en dolomie, et la serpentine est blanchie et désagrégée sous l’influence des émanations gazeuses. En quelques points où la température atteint jusqu’à 37 degrés centigrades, on sent très fortement l’odeur désagréable de l’hydrogène sulfuré ; mais le gaz le plus abondamment dégagé est l’acide carbonique. Les fissures des roches, les moindres crevasses du sol sont autant de bouches par lesquelles ce gaz est continuellement exhalé. Près de l’entrée du défilé, quelques excavations plus larges en rejettent sans cesse des volumes effrayans. La principale de ces cavités est une grotte étroite tout à fait

  1. Je suis loin de regarder la magnésie comme la cause exclusive de ces deux maladies ; mais, parmi les nombreuses causes invoquées, celle-ci me paraît la plus incontestable.