Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/510

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en ces matières était de distinguer le bon du mauvais livre. La Revue a eu l’occasion plus d’une fois de signaler d’un côté les erreurs, d’encourager de l’autre les efforts sérieux des vulgarisateurs. On n’y reviendra pas ici. Au-dessus des critiques particulières, il se présente, à propos des mêmes ouvrages, une question d’un autre ordre, plus grave et d’une application plus étendue.

Les partisans des livres illustrés réclament maintenant en leur faveur la prétention d’un mérite plus élevé que celui d’un simple délassement. A les entendre, ce serait une méthode d’enseignement; l’instruction pourrait s’aider de ces recueils d’images, parfois même s’en contenter. L’idée n’est pas nouvelle à coup sûr, quoiqu’elle ait été diversement comprise selon les époques. Instruire en amusant, apprendre sans fatigue, c’est une utopie déjà vieille, rarement combattue, bien qu’en fait de science au moins l’opinion des pédagogues y soit opposée. C’est cette utopie, dangereuse à mon avis, que je voudrais combattre aujourd’hui. J’essaierai de démontrer deux choses, en premier lieu que l’enseignement par les images est de sa nature frivole et incomplet, ensuite que l’instruction acquise sans effort est de toute nécessité superficielle et par conséquent insuffisante.

Dans l’enseignement des sciences, on a souvent besoin de décrire un instrument peu connu, tel qu’un appareil de physique, de représenter un être dont la conformation est ignorée du lecteur, un insecte par exemple, de montrer sous une forme sensible un phénomène dont les phases successives, — le mouvement de la lune, si l’on veut, — ne peuvent être dans la réalité envisagées au même instant. En pareille circonstance, le dessin est d’un grand secours au professeur. Par des images qui ne sont jamais, il est vrai, qu’une expression lointaine de la vérité, il rend sensibles les objets dont il veut donner l’idée; mais en même temps il corrige par la parole l’impression erronée que l’élève en peut recevoir. Il explique en quoi la figure est déformée par les lois de la perspective, en quelle mesure elle est réduite par l’exiguïté de la feuille sur laquelle elle est tracée. L’enseignement oral rectifie la conception informe que l’œil seul aurait donnée.

Je voudrais éclaircir ceci par un exemple, je le prendrai dans l’astronomie, parce que c’est la science que l’on a le plus essayé d’illustrer. Les astronomes nous apprennent que, le rayon terrestre étant pris pour unité, la distance de la terre à la lune est exprimée approximativement par le nombre 60, et la distance de la terre au soleil par le nombre 24,000; de plus le rayon du soleil, étant mesuré à la même échelle, est égal à 108, et le rayon de la lune n’est que 0,02. Qu’on essaie, sur ces données, de représenter graphiquement le soleil, la terre et la lune avec leurs distances et leurs volumes respectifs; on reconnaîtra tout de suite que c’est impossible. Si petite que l’on fasse la lune, qu’on la réduise à un point d’un dixième de millimètre de diamètre, la terre devrait avoir 5 millimètres, le soleil 54 centimètres de diamètre; la terre devrait être placée à 30 centi-