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Personne n’a une foi plus vive que moi dans le triomphe final des principes éternels du sens commun et de la moralité absolue. »

Voilà de nobles paroles qui feraient pardonner à M. Mamiani bien des hérésies sur l’absolu, les idées, la théologie, la création, le progrès, le fini en soi et dans ses rapports avec l’infini. A-t-il besoin de ce pardon? Quelle que soit mon incompétence, j’oserais affirmer qu’il est sans reproche, car ce n’est pas par excès de témérité que pèche son esprit, et la vérité sur ces matières n’est pas si solidement établie, que personne ait le droit de jeter au philosophe la première pierre. S’il ne découvre pas de grandes nouveautés dans ce champ de la métaphysique qu’on retourne depuis des siècles sans y rien trouver que n’aient vu ou entrevu Aristote et Platon, il a du moins le mérite d’occuper son esprit à des questions que l’homme se posera éternellement, dût-il ne jamais les résoudre, et surtout d’y fixer l’attention des Italiens. C’est en effet un service à leur rendre que de les ramener du domaine des faits dans celui des idées. Que pendant la longue période de l’affranchissement la toge ait cédé le pas aux armes, personne n’y peut trouver à redire; mais maintenant commence la période de la régénération : il faut donc que les armes apprennent à céder le pas à la toge : elles se feront ainsi pardonner de n’avoir pas été plus habiles et plus heureuses.

D’ailleurs M. Mamiani a un mérite particulier, il est bon écrivain, il se pique d’exprimer dans une langue correcte et pure ce que tant d’autres affectent de dire en formules trop souvent barbares. Il constate avec regret que la discussion métaphysique est devenue très difficile dans tous les idiomes de l’Europe, parce que les philosophes ont détourné les mots de leur vieille et ordinaire signification, emprunté aux Grecs une foule de termes plus ou moins inutiles et fouillé partout, surtout chez les Allemands, plutôt que de chercher l’expression juste chacun chez soi. En montrant que la langue de Dante et de Machiavel suffit aux Italiens pour exprimer les pensées les plus abstraites et en apparence les plus neuves, M. Mamiani rend aux philosophes de son pays un service dont nous devrions bien profiter nous-mêmes. Il y a longtemps qu’on nous l’a dit, la langue de Pascal et de Fénelon peut encore nous suffire, mais nous semblons singulièrement l’avoir oublié.


F.-T. PERRENS.


F. BULOZ.