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Au contraire, dans les pays où le métier de la guerre constitue une profession spéciale et isolée, où le premier mérite du soldat et la principale condition de son avancement sont d’exécuter sans examen la tâche qu’on lui assigne, il faut que le conscrit se fasse un tempérament militaire par là discipline, et qu’il s’habitue à trouver dans l’engrenage du régiment la force motrice qui ne réside pas en lui-même. De la nécessité d’un apprentissage assez long, nécessité exagérée par les chefs de corps, qui se complaisent dans la perfection des exercices, et puis enfin, quand presque tous les citoyens se sont accoutumés à payer de leur argent pour ne pas payer de leur personne, ils laissent atrophier en eux le premier instinct de notre nature, celui de la défense personnelle, et ils mesurent leur confiance dans l’avenir sur le nombre des hommes enrégimentés et aguerris.

Il faut, ce me semble, tenir compte des préjugés sociaux et prendre le milieu entre les tendances extrêmes. Je cherche une autorité qui abrite mon incompétence, et je la trouve dans le rapport qui a servi de base à la loi qui est encore en vigueur, celle de 1832. L’instinct public demandait ce qu’il demande encore aujourd’hui, un service actif à courte durée et une réserve sérieuse. Le rapporteur, M. Hippolyte Passy, prononça ces paroles qu’on recueillit comme un engagement : « Tout rend certain que les fantassins après deux ans et les cavaliers après trois ans d’activité recevront des congés annuellement renouvelés. » Et en effet l’avis presque unanime des hommes spéciaux est que trois ans de service suffisent pour former un cavalier, et qu’il en faudrait moins pour faire un artilleur, puisque souvent en campagne les fantassins sont employés dans les batteries comme auxiliaires. Quant au soldat d’infanterie, la durée de son apprentissage peut varier suivant l’agilité du corps et de l’esprit ; deux années sont un maximum suffisant pour les plus lourdes natures, et ce temps devrait être abrégé dans beaucoup de cas par des congés accordés avec discernement. Il ne faut pas croire qu’il suffit de retenir longtemps le militaire dans les casernes pour en faire « un vieux soldat. » Ce qui vieillit le soldat, trop rapidement peut-être, c’est la guerre. — « Nous sommes convaincus, a dit le colonel Guérin dans son mémorable rapport, que, quand on a passé sous les drapeaux le temps nécessaire pour se former aux armes, on a plus à perdre qu’à gagner en continuant plus longtemps la vie de garnison, vie de sujétion, mais peu laborieuse, qui fait plutôt naître des goûts d’oisiveté qu’elle ne prépare aux fatigues et aux privations de la guerre… On n’est pas vieux soldat après sept ans de garnison plutôt qu’avec trois. » C’est un vieux et brave soldat qui parlait ainsi.