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connaisseurs et n’obtient de la foule que des applaudissemens stériles, il n’y a pas à s’y méprendre, Son temps n’est pas venu, les esprits ne lui sont pas ouverte. S’ensuit-il qu’ils soient acquis à la cause contraire, et qu’en dehors de ce groupe il n’y ait contre les lois et les idées modernes qu’hostilité et guerre ouverte, que tous les autres chrétiens acceptent sans réserve les doctrines de certains journaux violemment rétrogrades qui font à la religion le tort de passer pour ses confidens ? Non, les masses par instinct échappent aux opinions extrêmes ; mais, sans rompre en visière avec des idées modernes, la grande majorité des fidèles les tient pour dangereuses et s’en écarte avec ombrage. Entre la société civile et la société religieuse, les rapports sont froids et contraints : il y a comme un défaut de confiance et de sympathie ; le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elles vivent en deux camps séparés.

C’est déjà beaucoup trop. Ne comptez point sur un nouvel élan, sur un complet réveil des croyances chrétiennes, sans un retour de sincère harmonie entre l’église et la société. Le désaccord actuel, pour peu qu’il se prolonge, semblerait accuser comme un déclin du christianisme : on pourrait dire qu’il perd pour la première fois et ce discernement des besoins de son époque et cette puissance de rajeunissement qui lui ont valu pendant dix-huit siècles sa longévité sans exemple. Pour que les prédictions qui précédèrent sa naissance reçoivent leur accomplissement, pour qu’il vive autant que cette terre où rien ne vit et ne dure que ce qui change et se modifie, ne faut-il pas qu’il soit soumis à la commune loi, et que, restant au fond toujours le même, lui aussi, au moins à la surface, il se transforme et se renouvelle ? Le condamner à l’immobilité de peur qu’il ne s’altère, le pétrifier pour le garder plus pur, c’est prononcer sa déchéance, autant vaut le tenir pour mort. Cesser d’être ou vivre en léthargie, n’est-ce pas à peu près même chose ?

D’où vient donc, malgré tant de sujets d’alarme, qu’au fond de l’âme nous nous sentions tranquilles, et qu’à nos inquiétudes se mêle tant d’espoir ? Est-ce une foi non raisonnée, un pur instinct qui nous soutient ? Non, c’est le christianisme lui-même, le christianisme de nos jours, qui par ses actes nous rassure. Malgré ce désaccord avec son temps qui entrave ses progrès, malgré toutes les plaies dont il souffre, toutes les froideurs qu’il endure, tous les cœurs qui lui sont fermés, partout où il pénètre, il est encore si bien lui-même, si plein de vie et de lumière, il verse de tels trésors de compassion et de tendresse, fait répandre de si douces larmes, enfante de tels dévouemens, qu’évidemment il n’est pas en déclin. L’arbre prêt à mourir ne nourrit pas de pareils fruits, ne porte pas de tels rameaux. Ici la sève abonde et jaillit des racines ; une