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chacun alors dans la république chrétienne peut se permettre de veiller aux intérêts de sa province plutôt qu’à ceux de la patrie ; mais quand on est en face et sous le coup d’une invasion, tout change : c’est le salut commun qui est la première loi. Il n’y a plus ni couleurs, ni nuances, il n’y a qu’un drapeau qui pour tous doit être également sacré. C’est le moment d’appeler franchement, à bras ouverts, les auxiliaires, quels qu’ils soient, dont on peut se promettre un sérieux concours. Ne vous y trompez pas, les chrétiens, même unis et marchant tous d’accord, ne suffiront que tout juste à leur tâche ; car ils n’ont pas seulement à repousser des attaques, — s’en tenir à la défensive serait être à demi vaincus ! — Ils ont à marcher en avant, à envahir, à subjuguer les âmes. Le monde est à reconquérir une seconde fois, et quel monde ! plus léger, plus frivole, plus endormi peut-être qu’il y a dix-neuf cents ans !

Encore un coup ce n’est pas la guerre anti-chrétienne dont il faut nous préoccuper. Cette nuée de systèmes, ces rêves, ces chimères, ces combinaisons maladives, ces désordres philosophiques n’ont rien qui nous effraie. Le spectacle en est triste, mais ce n’est pas du sommeil. À cette activité fébrile vous pouvez opposer une saine activité, vous pouvez en avoir raison, sans compter que vos adversaires eux-mêmes vous font la partie belle et infirment les coups qu’ils veulent vous porter. Quelle timidité au fond de leur audace ! comme ils ont peur de leurs énormités ! comme ils reculent devant les plus directes, les plus inévitables conséquences de leurs doctrines ! comme ils crient à la calomnie dès qu’on leur présente un miroir où la laideur de ces doctrines est reproduite au naturel ! Laissez-les parler et écrire, ils provoquent d’accablantes réponses ; laissez-les altérer l’histoire et les Écritures, c’est leur autorité, leur crédit qu’ils altèrent : ils sont pris à leurs propres embûches. Tout ce qui agite et secoue les esprits, tout ce qui les éveille même en les irritant tourne au triomphe de la vérité ; il n’y a de profitable à l’erreur que l’insouciance, la torpeur, l’engourdissement des âmes. Et c’est là par malheur la plaie qui nous dévore, la vraie maladie du siècle. N’essayons pas de le dissimuler, les ravages en sont trop manifestes. Autant l’impiété proprement dite, malgré ses apparens progrès et les éclats de son cynisme, ne fait en ce moment chez nous que de rares prosélytes, autant l’insouciance se propage, s’étend et s’acclimate. C’est une contagion : quiconque en est atteint ne vit plus que de la vie terrestre, n’est absorbé que par les soins, les affaires, les plaisirs de ce monde ; les grands problèmes de notre destinée, ces merveilleux mystères, notre tourment et notre honneur, n’existent plus pour lui ; il ne connaît, il ne cultive que ses instincts frivoles et grossiers ; la partie divine, de son être est en