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geurs célèbres dont s’honore l’Angleterre. Si Samuel Baker n’en a pas fait officiellement partie, il est du nombre de ces jeunes gens qui, poussés par ce besoin de mouvement et cette avidité d’émotions qui caractérisent la race anglaise, vont chercher au sud de l’Afrique ou dans les Indes un champ où ils puissent déployer à l’aise leur exubérante activité. Baker s’était plus particulièrement fixé dans l’île de Ceylan, où il se livrait à la chasse de l’éléphant ; mais cet exercice n’était pour lui qu’une discipline préparatoire. Il se sentait le goût des grandes explorations, et n’attendait qu’une occasion pour exécuter des projets nourris depuis longtemps. La recherche des sources mystérieuses du Nil était devenue, par suite des travaux récens de quelques voyageurs intrépides, la question à l’ordre du jour en Angleterre. Baker nous dit qu’il ne pouvait jeter les yeux sur une carte d’Afrique sans se sentir pénétré du plus violent désir de contribuer pour sa part à cette découverte. Il n’ignorait pas que Speke et Grant étaient partis avec le même dessein des côtes du Zanguebar ; mais on avait cessé de recevoir de leurs nouvelles, de vagues inquiétudes se répandaient à leur sujet, on pensait qu’ils avaient succombé dans leur entreprise, ou qu’ils étaient retenus par quelque tyranneau de l’Afrique équatoriale. Il résolut d’aller à leur recherche jusque sous la ligne en remontant le Nil, convaincu qu’il en atteindrait enfin l’origine. Libre, indépendant, ne tenant sa mission que de lui-même, assez riche d’ailleurs pour en faire tous les frais, il voulut partir seul : un compagnon aurait pu lui créer des difficultés et le retarder dans sa marche. La seule personne qui l’accompagna fut sa femme. Il la supplia vainement de rester dans sa famille, lui faisant entrevoir les fatigues, les dangers qu’elle aurait à affronter ; mais elle lui répondit comme Ruth à Noémi : « Ne me presse pas de te quitter et de m’éloigner de toi, car j’irai où tu iras et je demeurerai où tu demeureras ; je veux mourir où tu mourras et y trouver ma sépulture. Que Jéhovah me traite avec rigueur, si autre chose que la mort me sépare de toi[1]. » Vaincu par cette noble résolution, M. Baker ne résista plus, et le 15 avril 1861 il partit du Caire avec sa femme. Cette circonstance ajoute un intérêt particulier au voyage dont nous allons reproduire les traits les plus saillans et faire connaître les heureux résultats.


I.

Poussés par un bon vent du nord, nos voyageurs remontèrent rapidement le Nil, et arrivèrent après vingt-six jours de navigation à Korosko, localité de la Nubie inférieure, située sous le 22° 40′ de

  1. Rth, ch. I., V. 16, 17.