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enflamme. L’énergie et la rudesse de sa nature impétueuse ont fait croire qu’il manquait de sensibilité, et moi-même je fus longtemps à ne lui reconnaître qu’une main dure et sévère ; l’expérience m’apprit qu’il en avait une douce, cordiale et confiante. Il ne m’appartient pas d’entrer ici dans des détails qui ne peuvent intéresser personne ; mais qu’il me soit permis d’attester que dans un commerce de vingt-deux ans, j’ai toujours trouvé en lui un attachement fidèle, délicat et vigilant, sans qu’il m’ait jamais rien demandé en retour. Un dernier trait suffit pour honorer sa mémoire’ : il a été aimé jusqu’au bout par un homme tel que M. Barthélémy Saint-Hilaire.

M. Cousin, on le sait, est mort à Cannes presque subitement, il y a quinze jours à peine. Jusqu’à la dernière heure, nous l’apprenons par un témoin fidèle de sa mort, par un de ses médecins[1], il conserva la plénitude, la force, l’entrain de son esprit. Il est mort en s’endormant ; aucune lutte, aucun effort, aucune souffrance n’a signalé ses derniers momens, et la mort même n’a pas altéré la fière et forte beauté de ses traits. Il ne put avoir avec personne aucune communication, aucune conversation ; personne n’a recueilli ses dernières pensées, personne n’a eu le dernier secret de cet homme qui a eu un si grand rôle dans l’histoire philosophique de notre âge. Comme amis, nous devons nous féliciter qu’il soit mort sans douleur et sans conscience, mais comme philosophes nous devons regretter qu’il n’ait point retrouvé ses sens. Il eût été beau de voir en face de la mort ce grand traducteur du Phédon ; il l’eût contemplée, soyons-en sûr, avec sérénité et avec force, et pour nous notre conviction est qu’il fût resté fidèle jusqu’au bout aux deux grandes causes de sa vie, le spiritualisme et la philosophie.


PAUL JANET.

  1. Le docteur Second, dans les Échos de Cannes du 18 janvier.