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Une expédition composée de cent cinquante hommes peut recueillir dans une campagne, lorsque l’expédition a bien réussi, vingt mille livres d’ivoire, dont la valeur s’élève à 100,000 francs, sans compter quatre ou cinq cents esclaves, dont la vente peut produire de 40 à 50,000 francs. Chaque facteur possède à Gondokoro son enclos particulier, qui porte généralement le nom de la maison pour laquelle il fait des affaires ; il y dépose ses marchandises et y enferme ses esclaves. Bien que ces enclos restent neuf mois de l’année vides et abandonnés, il n’arrive jamais qu’un facteur étranger ou nouvellement arrivé s’en empare.

Quand notre voyageur atteignit Gondokoro, une vingtaine de navires étaient déjà à l’ancre, attendant leur chargement d’ivoire et d’esclaves. Suivant l’usage, il se construisit un enclos provisoire pour y mettre en sûreté ses bêtes de somme et ses chevaux. Il déposa sa provision de grains dans le magasin d’un négociant de Karthoum, appelé Courshid-Aga, avec qui il s’était lié d’amitié, et le pria de remettre ce qu’il y laisserait à MM. Speke et Grant, dans le cas où ils arriveraient après son départ. Il était à Gondokoro depuis treize jours, lorsqu’il entendit plusieurs salves de mousqueterie, et vit un moment après des hommes se précipiter dans sa cabine pour lui annoncer que Mohammed, le facteur d’un certain M. Debono, arrivait, accompagné de deux Anglais qui Venaient de l’Océan-Indien. Il s’élance de son navire, court à la rencontre des deux voyageurs, et reconnaît de loin son ancien ami Speke. Il lève son chapeau, pousse un joyeux hourrah, auquel les voyageurs répondent, et ils se jettent dans les bras les uns des autres. Ce premier moment d’effusion passé, Baker ne put se défendre d’un sentiment de tristesse en les voyant si défaits et couverts de vêtemens qui tombaient en lambeaux. Speke était le plus fatigué des deux, mais son extrême maigreur recouvrait une forte charpente. Il avait fait à pied le voyage de Zanzibar à Gondokoro. Grant n’avait des pantalons que pour la forme et paraissait malade de la fièvre, mais le regard des deux voyageurs était plein de vie ; le feu sacré qui les avait soutenus pendant leur voyage y brillait encore dans tout son éclat. Ils revenaient soutenus par le juste orgueil d’avoir résolu le problème posé depuis plus de deux mille ans, et fait faire un pas immense à la géographie de l’Afrique équatoriale.


II.

Nous avons ici même[1] raconté ce voyage et signalé les résultats scientifiques dont il a été suivi. Partis de Zanzibar, sur la côte

  1. Voyez la Revue du 15 août 1864.