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partir, bien qu’il n’eût ni guide ni interprète. Ceux-ci obéirent tout en maugréant et en disant que l’on ne part jamais sans savoir où l’on va. Il monta à cheval, sa femme en amazone était à ses côtés. Derrière lui prit place le porte-drapeau, et la petite caravane s’ébranla le 26 mars 1863, à cinq heures du soir.


III.

Baker tint parole : il prit la direction de l’est, ou plutôt du sud-est, comme l’exigeait le chemin suivi par la caravane d’Ibrahim. Bien que le sol fût brûlé, le pays, légèrement ondulé et boisé avec une certaine symétrie, n’était pas sans charme. En avançant vers l’est, nos voyageurs eurent bientôt à leur droite la montagne de Behgnan, belle masse de granit et de siénite de 1,200 pieds d’élévation, dont les flancs portaient une végétation vigoureuse et originale. Des ravins profonds rendaient la marche difficile. Pour empêcher les ânes de trébucher en descendant, il fallait les retenir par la queue, et pour les aider à monter, on les tirait par les oreilles. Quant aux chameaux, habitués à arpenter des plaines unies, ils se montrèrent d’une désolante stupidité. Ils choppaient, tombaient, renversaient leurs charges. En passant à travers un fourré de mimosas, les épines crochues dont cet arbre est armé trouèrent les sacs de provisions, qui rayèrent le sol de longues traînées de sel, de riz et de café. Au sortir de cette contrée raboteuse, ils traversèrent un pays fort peu accidenté, et descendirent ensuite dans la vallée de Tologa. Large de 500 mètres, elle avait l’apparence d’une rue formée par deux chaînes de montagnes d’une médiocre élévation, mais dont les flancs intérieurs avaient la perpendicularité d’une muraille. De belles prairies garnissaient le fond de cette vallée, sur laquelle de gigantesques figuiers répandaient une ombre agréable. À l’approche de notre voyageur, les nègres sortirent de leurs villages, juchés sur les pointes des rochers, et entourèrent en foule sa caravane, contemplant avec admiration les chevaux, les chameaux et un petit singe rouge que Mme Baker menait avec elle. Un bossu, plus hardi que ses camarades, adressa à notre voyageur une foule de questions.

— Qui êtes-vous ?

— Un voyageur.

— Que venez-vous faire dans ce pays ? Chercher de l’ivoire ?

— Non, je n’en ai pas besoin.

— Que voulez-vous donc ? des esclaves ?

— Nullement, je ne saurais qu’en faire.

Un éclat de rire accueillit cette réponse.

— Avez-vous beaucoup de vaches ?