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plus élevée. Chacun de ces genres est l’expression d’un état social particulier. Ils sont l’œuvre spontanée d’un peuple et représentent les divers caractères de son génie aux diverses phases de son existence.

Il est bien entendu qu’on ne par le ici que des genres littéraires à leur naissance. Plus tard, les sociétés polies et lettrées reprennent ces créations des époques primitives et les imitent dans tout ce qui ne choque pas leur délicatesse. La poésie épique n’est plus alors qu’une forme comme une autre que l’on choisit selon ses préférences et ses fantaisies ; elle devient une œuvre personnelle où se joue l’inspiration libre du poète. Aussi n’est-ce pas sur les poèmes de cette sorte qu’il convient de juger l’épopée. Quand on a lu avec soin l’Enéide ou la Jérusalem délivrée, on ne peut se flatter de connaître que le génie de Virgile ou celui du Tasse. Si l’on veut se faire une idée du genre lui-même, il faut remonter jusqu’au temps où il s’impose à l’écrivain qui le subit sans le modifier ; il faut l’étudier dans des œuvres où ses caractères essentiels ne sont pas obscurcis par l’individualité du poète.

Ces sortes d’épopées sont pour beaucoup de peuples les plus anciens monumens de leur histoire. Pourtant ce n’est pas par elles que les littératures commencent, comme on l’a quelquefois supposé. Des œuvres d’aussi longue haleine dépasseraient les forces d’un peuple naissant. Elles ont été partout précédées et préparées par des chants plus simples et plus courts ; mais ces chants appartenaient-ils tout à fait à ce que nous appelons aujourd’hui la poésie lyrique ? M. Gautier le pense. Dans un langage un peu trop figuré, il nous montre l’homme qui vient de naître « hors de lui, enivré, presque fou d’admiration, de reconnaissance et d’amour, levant au ciel ses beaux yeux, les promenant sur son nouvel empire et adressant ses hymnes et ses cantiques au Dieu créateur. » Je ne sais si les premiers hommes étaient aussi sensibles que le veut M. Gautier aux beautés de la nature. Admirer suppose une certaine culture de l’esprit ; ce n’est pas du premier coup et de soi-même qu’on s’aperçoit de la grandeur d’un spectacle qu’on a toujours devant les yeux, et l’on peut dire, par exemple, que ce sont les voyageurs qui ont révélé la Suisse à ses habitans. En tout cas, cette poésie religieuse, si elle a jamais existé chez les peuples de l’Occident, est entièrement perdue, et il ne s’en est conservé aucun souvenir. Celle qui chez nous précéda l’épopée racontait les événemens contemporains ou rapprochés. C’était un récit, et par conséquent on peut dire qu’elle avait déjà le caractère épique ; mais, comme on ne par le pas sans émotion des faits qu’on a vus et qui nous touchent, elle devait avoir aussi par momens des accens lyriques. Ces chants, d’une forme courte et vive, sont appelés ordinairement des