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leurs regards sur les chameaux, les femmes sur leur sœur d’Europe. C’était à qui ferait le plus de remarques. L’épouse favorite du chef dit que Mme Baker serait beaucoup plus belle, si elle s’arrachait les incisives de la mâchoire inférieure.

Le voyageur anglais plaça son camp à une bonne distance de celui d’Ibrahim, pour que les indigènes comprissent bien qu’il formait une bande à part et avait un but distinct de celui des Turcs. Cette précaution était d’autant plus nécessaire que ces derniers n’avaient pas toujours le dessus dans les querelles qu’ils suscitaient aux habitans des pays où ils s’établissaient. Ce Mohammed-Her, qui avait poussé son escorte à la révolte et lui avait enlevé dernièrement trois de ses gens, perdit fort peu de temps après sa compagnie tout entière. Un des chefs du pays lui avait signalé un village, dans les gorges d’une montagne, dont les habitans s’étaient révoltés, et l’avait autorisé à y exécuter une razzia. Dans cette attaque, les Turcs furent repoussés, battus, écrasés sous des quartiers de roches que les indigènes firent rouler sur eux. Baker l’apprit par un individu qui vint lui rapporter deux de ses fusils tout maculés de sang ; ils avaient appartenu aux hommes qui naguère s’étaient enfuis et dont les corps furent abandonnés aux vautours. Ses gens se rappelèrent son imprécation et le considérèrent dès cette heure comme un être mystérieux qu’on ne pouvait trahir sans s’exposer à la mort.

Ignorant combien de temps il serait obligé de rester dans ce pays, il se mit à convertir une portion de terrain en un jardin potager. Il avait eu la bonne idée de se munir de graines de plantes légumineuses. Cette précaution lui fut d’autant plus utile qu’il ne pouvait se procurer aucun légume. On ne voulait pas non plus lui vendre de la viande de boucherie, bien qu’il vit passer chaque matin un troupeau de dix mille bêtes à cornes que des gardiens menaient aux pâturages. Il y suppléait par la chasse. Le pays nourrissait en abondance toute sorte de gibier à plumes, oies, canards, pigeons, tourterelles, hérons et grues. Notre chasseur rencontra une variété de canards au plumage d’un bleu doré, tachetée de blanc au cou et à la tête ; elle porte sur le bec une crête comme celle du coq. La chair de cet oiseau est des plus délicates. Il abattit aussi une espèce d’oie dont les ailes et le corps sont blancs, mouchetés de noir, la tête et le cou cramoisis. Elle porte sur la tête une protubérance calleuse d’une nuance jaunâtre. Les ailes de cette oie sont armées d’un éperon pointu et très fort d’un pouce de long, dont elle se sert pour se défendre. Il rapportait journellement avant déjeuner dix ou douze canards et autant de grues. Parmi ces dernières se trouvait la belle variété à aigrette que les Arabes appellent garranook. Sa tête est d’un beau noir velouté, ornée d’une huppe jaune-orange. La grande chasse était aussi abondante que la petite dans le Latouka. Quand