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laborieux et indépendant. Cette résolution semble bien simple aujourd’hui. À cette époque, c’était une fantaisie révolutionnaire, un vrai scandale dans la société aristocratique de Turin, dans cette société aux traditions surannées, aux mœurs immobiles et aux idées plus immobiles encore. Un gentilhomme infidèle à sa caste, quittant l’armée pour se faire peintre, vendant peut-être ses tableaux, gagnant sa vie ! Tout ce qu’on pouvait dire de moins, c’est que les Taparelli, de père en fils, avaient eu toujours la réputation d’avoir quelque chose dans le cerveau, et que la dernière génération surpassait toutes les autres. L’auteur des Ricordi a tracé avec sa saveur piémontaise la comédie de cet ébahissement de la société turinoise qui ne l’avait point arrêté.

Quand je dis que d’Azeglio était un volontaire, je ne veux pas dire un amateur ; il embrassait au contraire son métier dans tout ce qu’il a de sérieux, de difficile, de pénible même. Fixé à Rome, il passait son temps à prendre des leçons d’un vieux maître flamand, à suivre les ateliers, à faire des études d’anatomie, à copier la nature romaine, sans oublier l’histoire et la littérature. La pension que lui faisait son père était modique du reste, et il était bien obligé d’y suppléer, de se suffire à lui-même. Cela ne lui déplaisait pas. Dans ses idées nouvelles, vivre de son travail était un acte de virilité, un autre genre de noblesse propre à l’homme moderne, le complément de son émancipation, et il est curieux de saisir l’impression de ce jeune homme le premier jour où il reçoit le prix d’un de ses ouvrages. On sent encore le gentilhomme. Il hésite d’abord, « tant il est difficile, remarque-t-il, de se défaire des préjugés, » et il s’impose pour châtiment de recevoir l’argent de la main à la main, le regard fixé sur celui qui doit le lui remettre. « Je raisonnai ainsi, dit-il : si un acte est honteux, il ne faut le faire d’aucune façon ; s’il ne l’est pas, il serait humiliant de l’accomplir comme si on en devait rougir… Donc je pris bravement mon argent ; mais je ne suis pas sûr d’avoir exécuté le programme de point en point et de n’avoir pas baissé un peu les yeux au moment décisif. Le fait est que pour un artiste comme pour un écrivain c’est une grande émotion la première fois qu’il se voit devant une petite poignée d’or, et qu’il peut se dire que cet or, il l’a gagné avec son travail et avec ses « mains… A la satisfaction de l’amour-propre vient s’en joindre une autre plus digne, celle de se voir plus indépendant, de sentir qu’on a en soi-même le moyen de se suffire sans avoir besoin de plier devant qui que ce soit. » Et il ajoutait : « Le sentiment de l’indépendance, il faut l’avoir pour soi-même d’abord ; celui de l’indépendance pour la nation en sera la conséquence nécessaire. »

Donc Massimo d’Azeglio était artiste et menait la vie d’artiste sans