Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/897

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

conspirations secrètes, la police romaine avait mis la main sur quelques conspirateurs dont l’un était le docteur Montanari, beau type de Romagnol, brun, de haute taille, vigoureux, d’esprit hardi et passionné. Les conspirateurs une fois pris, comme on avait joué du poignard, l’affaire était claire. Il y avait deux condamnés à mort. Ils furent conduits sur la place du Peuple, mis en chapelle pendant tout un jour ; aucun d’eux ne voulut se confesser. Des prêtres, des cardinaux même accoururent pour les engager à recevoir les sacremens. Tout fut inutile. On les exécuta. « Selon la foi catholique, dit d’Azeglio, quelles conséquences devait avoir une semblable fin ? Et d’un autre côté, si ce jour-là leur cœur restait fermé au sentiment religieux, qui vous dit qu’il ne se serait pas ouvert un jour plus tard ? Dieu aurait accordé le temps à ces malheureux, il n’était pas dans ses desseins de précipiter ces âmes dans le lieu où le dogme catholique n’admet aucune espérance de pardon. Et c’était le pape qui, corrigeant la divine clémence, les jetait inexorablement dans l’abîme des réprouvés ! », Voilà le conflit poignant de l’autorité temporelle et de l’autorité religieuse réunies : l’une entraîne l’autre à de redoutables inconséquences. L’auteur des Ricordi, à la vérité, voyait à Rome bien d’autres choses moins faites pour assombrir sa verve.

Pendant l’été, d’Azeglio allait à la campagne ; il alternait entre tous les environs de Rome. Une saison il allait à Castel Sant ’Elia, une autre fois à Rocca di Papa ou à Genzano, près du lac Nemi, ou à Marino. Et ce n’était pas en touriste raffiné qu’il faisait ces excursions ; il allait s’établir parmi les habitans, vivait de leur vie, se mêlait à leurs fêtes, tout en travaillant, en prenant des vues de la campagne romaine. Il dessinait ces paysages qu’il reproduit avec la plume, comme celui de Rocca di Papa, ce nid de soldats posé par Alexandre VI au sommet d’une montagne qu’on voit de la porte de Saint-Jean-de-Latran. Il avait sous les yeux le Latium tout entier, au loin la coupole de Saint-Pierre se dessinant dans les vapeurs du soir, les montagnes de Viterbe, de l’Ombrie et de la Sabine, Gennaro, Tivoli, les tours de Grota-Ferratta, et dans l’intervalle la vaste et insalubre région dont parle Alfieri, la campagne romaine, « cette vaste tombe où gît ensevelie l’ancienne puissance romaine. » C’est devant ces spectacles que d’Azeglio, en s’exerçant comme peintre, se formait un jugement sur les choses et sur les hommes. Il avait gagné certainement à ces familières villégiatures, à ces fréquens séjours dans la campagne romaine, de connaître mieux que tout autre ces populations originales, de saisir leur esprit, leur caractère, leurs passions, leurs vices, et il leur a pris des types qui sont passés plus tard, dans ses romans, comme toutes