Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 67.djvu/904

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une déclaration si nette, fut abasourdi, et il reprit en répétant à dessein la phrase du roi : « Ainsi je ferai savoir à ces messieurs… » Le roi fit un signe de tête comme pour assurer qu’il avait été bien compris ; puis il se leva, mit les mains sur les épaules de d’Azeglio," et il l’embrassa. « Cet embrassement, ajoute d’Azeglio, avait en soi quelque chose d’étudié, de froid, presque de funèbre, qui me glaça, et une voix intérieure, le terrible ne te fie pas, s’éleva dans mon cœur : terrible fatalité pour les astucieux de profession d’être suspects même quand ils disent la vérité ! Et il l’avait dite, le pauvre homme, le fait l’a bien prouvé. Qui m’aurait dit, à moi, tandis que nous étions assis dans cette embrasure de fenêtre, sur ces deux escabeaux dorés recouverts de soie verte et blanche, que lorsqu’il offrait par mon intermédiaire aux Italiens ses armes, ses trésors et sa vie, j’étais injuste de ne pas être intimement et subitement convaincu,… qu’à moi, comme premier ministre de son fils, était réservé le triste devoir de le faire ensevelir dans le tombeau royal de Superga ? » Pendant cette conversation, le roi avait dit : « Il serait bon maintenant d’écrire quelque chose. » D’Azeglio y avait bien pensé ; il alla s’enfermer dans la villa de Balbo, son cousin, à Rubatto, et en quelques jours il écrivit les Ultimi casi di Romagna, ce petit livre qui allait remuer l’Italie, qui était tout un programme de politique nationale, et faisait de l’auteur l’homme d’action du mouvement nouveau. Sa position était singulière en ce moment. Il ne pouvait après cela reprendre de si tôt le chemin de Rome ; il pouvait encore moins revenir à Milan ; à Turin même, par une de ces habitudes de réserve extérieure d’où Charles-Albert ne croyait pas devoir sortir, la censure lui refusait l’autorisation d’imprimer un livre que le roi avait presque inspiré ; à Florence, où il était allé chercher un imprimeur, le ministère toscan l’expulsait pour sa popularité. Il se trouvait banni, lui ou son livre, de tous les états ; il restait le citoyen de l’Italie ! D’Azeglio a eu deux beaux jours dans sa vie, celui-ci est le premier.

Arracher l’Italie à l’ombre des conspirations pour l’amener sur le terrain nouveau d’une agitation morale et pacifique, l’unir dans une même pensée de progrès intérieur et de nationalité, donner à ses aspirations d’indépendance une sorte d’authenticité avouée et reconnue, c’était là le service que d’Azeglio avait rendu, non avec le talent d’historien ou de philosophe d’un Balbo ou d’un Gioberti, mais avec la vivacité entraînante d’un esprit juste allant droit au nœud d’une situation. Lorsqu’il parcourait la Romagne, excitant les tièdes, contenant les impatiens, disant à tous de se préparer en attendant l’occasion, il ne se doutait pas lui-même, il l’avoue, que cette occasion était si près de naître, qu’elle allait