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et en expirant, comme Cavour, il murmurait encore le nom de l’Italie. Il mourait avec la pensée qui avait été l’inspiration et l’honneur de sa vie.

Massimo d’Azeglio s’éteignait quelques mois à peine avant que Venise ne fût affranchie à son tour. C’était le dernier mot de cette longue guerre d’indépendance que l’Italie soutient depuis des siècles, mais surtout depuis cinquante ans, et où ce galant homme a servi en volontaire fidèle et dévoué, travaillant quand on ne pouvait combattre, combattant quand l’heure était venue, sincère avec ses amis comme avec ses ennemis, gardant toujours le sens exquis de la justice et de la vérité. — Il se rangeait lui-même volontiers dans ce groupe où il plaçait Collegno et un petit nombre d’hommes de sa génération. De tous les Italiens contemporains, les uns, comme soldats, même comme hommes d’état, ont eu dans l’action un rôle plus éclatant ; les autres, comme écrivains, ont eu plus d’invention ou de science. Ce qui a fait l’originalité de d’Azeglio, c’est la supériorité morale de sa nature ; ce qui a fait son autorité, c’est le caractère, c’est la virile fierté de l’esprit, c’est ce courage de son opinion qu’il a eu dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, et qui n’est pas commun au-delà des Alpes. On pourrait même dire que c’est ce qui manque le plus aujourd’hui dans la vie publique de l’Italie, tant il y a souvent de différence entre ce que pensent les hommes, ce qu’ils disent tout bas et ce qu’ils disent tout haut. L’esprit, l’imagination, la passion, la finesse, sont partout ; le courage d’avoir une opinion et de la soutenir, même au risque de l’impopularité, c’est là ce qui est rare. C’était une pensée familière de d’Azeglio que les nations longtemps opprimées ne se rachètent que par le caractère ; c’est aussi par le caractère qu’elles se conservent, qu’elles s’affermissent dans leur indépendance. Par ce spectacle d’une vie droite où l’inspiration du bien domine toujours, où toujours l’honnêteté a le dernier mot, d’Azeglio sert encore et plus que jamais l’Italie, après l’avoir servie lorsqu’elle ne pouvait pas même entrevoir le terme de ses incessantes et douloureuses revendications.


CHARLES DE MAZADE.