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Enfin le guide arriva avec un officier chargé de pourvoir à la nourriture de notre voyageur et de sa suite pendant la route. Baker ne prit que sa petite escorte de treize hommes et se hâta de faire ses préparatifs. L’heure du départ avait sonné, chacun était à son poste prêt à partir, lorsque Kamrasi arriva pour lui arracher encore de nouveaux présens. Il fit ouvrir ses valises pour choisir les effets qui étaient à sa convenance. Il lui demanda, mais en vain, sa montre. Il força Mme Baker de lui remettre un mouchoir de soie jaune frangé de lames d’argent, le seul qui lui restât, et pour terminer il pria Baker de lui donner sa femme. Baker, irrité au suprême degré, lui présenta la bouche de son revolver, lui dit que dans son pays cette offense serait lavée dans le sang, et que, s’il ne le tuait pas sur-le-champ, c’est parce qu’il le considérait comme un stupide animal. Kamrasi, tout surpris et fort effrayé, s’efforça de le calmer en lui disant que, s’il lui demandait sa femme, c’était avec l’intention de lui en donner une autre, mais qu’il n’insistait pas ; aussi bien, ajouta-t-il, la chose n’était pas assez importante pour se mettre dans une telle colère. Il se retira là-dessus, et la caravane se mit en route en prenant d’abord la direction du sud-ouest pour éviter un grand marais qui lui barrait le passage, puis elle reprit le chemin de l’ouest, et ne s’éloigna que de quelques lieues, tantôt à droite, tantôt à gauche, du 1° 15′ de latitude nord. Après quelques jours de marche sous un soleil ardent, nos voyageurs retrouvèrent le Kafour, qui avait à cet endroit 70 mètres de large. Bien que profond, il ne formait qu’une masse tellement épaisse de joncs, de bambous et de papyrus, qu’il leur suffit de les coucher et d’y ajouter un banc de plantes aquatiques pour pouvoir le traverser. Baker le passait suivi de sa femme, lorsque, se retournant, il la vit changer de couleur, devenir pourpre et s’affaisser sur elle-même. Il courut à elle, la reçut dans ses bras et la transporta non sans danger sur la rive opposée, car le pont, trop léger, cédait sous le poids de deux personnes. Il convertit de nouveau son lit de camp en palanquin, et chercha par des frictions à la faire revenir à elle, mais en vain ; son état devenait de plus en plus alarmant. Il fallait s’arrêter à chaque instant pour lui soulever la tête, car il craignait qu’elle ne suffoquât, tant sa respiration était râlante. Arrivé au premier village, il la coucha dans une hutte et fit d’inutiles efforts pour lui desserrer les dents avec un petit coin de bois. Ce ne fut qu’avec une peine infinie qu’il parvint à lui rafraîchir la langue et le palais, qui étaient en feu.

Bien que la troupe de notre voyageur fût réduite à vingt personnes, y compris les femmes, il ne pouvait s’arrêter plus d’un jour dans chaque village, parce que les vivres lui auraient manqué. Il devait nécessairement aller en avant. Le jour, il se tenait