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l’invasion étrangère, et il avançait ainsi l’heure qui devait le mettre aux prises avec de nouveaux et plus redoutables ennemis.

Le gouvernement de Saint-Pétersbourg, spectateur intéressé de la guerre qui divisait les deux khanats, n’avait pu pour le moment en profiter. La guerre de Crimée occupait toutes les forces de l’empire, et nul doute que l’Angleterre, qui voyait avec déplaisir les progrès du général Perowski, île l’eût alors facilement refoulé au milieu des steppes des Kirghiz, si elle avait envoyé des Indes un corps de troupes pour soutenir le Kokand. L’influence de la Russie dans l’Asie centrale eût été peut-être à jamais ruinée, et l’abaissement de la puissance moscovite n’aurait servi qu’à favoriser les intérêts de la Grande-Bretagne ; mais le cabinet de Saint-James comprit qu’en cédant à la tentation de se délivrer d’une rivalité dangereuse pour l’empire des Indes, il pourrait compromettre des intérêts plus graves, et il garda en Tartarie une stricte neutralité.

Pendant ce temps, le général Perowski, déployant une activité sans trêve, disposait d’une façon si habile les troupes laissées sous ses ordres que non-seulement il se maintenait dans la citadelle d’Ak-Mesdjed, mais encore s’emparait du fort d’Hodja-Nias, d’où les Khiviens, alliés du Kokand, harcelaient les détachemens russes. Le gouverneur s’occupa aussi d’échelonner ses positions de manière à se créer une base solide pour les opérations ultérieures qu’il méditait, car les agrandissemens qu’il avait réalisés lui apportaient peu d’avantages réels. Le Syr-Daria, alimenté près de sa source par une multitude d’affluens, arrose un pays dont la végétation luxuriante n’a d’égale que celle des plus fertiles vallées de l’Inde ; mais, après avoir traversé de riches cultures, il entre, au-dessous de la ville de Turkestan, dans une steppe saline, et à partir de ce point tout prend un autre aspect. Depuis les frontières du Kokand jusqu’à la mer d’Aral, ses bords deviennent nus et stériles ; tantôt profondément encaissé, il n’est séparé du désert que par une étroite bande de jungles, tantôt sortant au contraire de son lit, il inonde les campagnes environnantes, et forme des lagunes de roseaux, des marais infranchissables, qui s’étendent sur la plaine à une distance de plusieurs centaines de milles. Dans les endroits seulement où la rive plus élevée ne laisse déborder le fleuve qu’au moment des hautes eaux, les Kirghiz s’adonnent à l’agriculture, et l’on prétend que le sol, enrichi par les dépôts d’alluvion, donnerait des moissons abondantes, s’il était confié à de meilleures mains ; mais les indigènes se contentent de lui faire produire les chétives récoltes de millet et d’avoine qui suffisent à leur consommation. Les