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La nouvelle de l’invasion du Kokand avait causé en Angleterre une émotion très vive, l’indépendance de l’Asie centrale étant regardée, non sans raison, comme l’indispensable garantie de la sécurité des possessions britanniques dans les Indes. Une circulaire du prince Gortchakof vint calmer ces craintes ; le ministre alléguait pour excuse « l’impérieuse nécessité, » qui avait contraint la Russie à "étendre son territoire, contrairement à la volonté de l’empereur, et il déclarait que l’empire des tsars dans l’Asie centrale avait désormais atteint ses dernières limites. Cette curieuse note diplomatique, destinée comme tant d’autres à être bientôt démentie par les faits, a eu chez nos voisins d’outre-Manche trop de retentissement pour que nous n’en citions pas quelque chose :


« La ligne primitive de nos frontières le long du Syr-Daria jusqu’au fort Perowski d’un côté, et de l’autre jusqu’au lac Issi-Koul avait l’inconvénient d’être presque à la limite du désert. Elle était interrompue sur un immense espace entre les deux points extrêmes ; elle n’offrait pas assez de ressources à nos troupes et laissait en dehors des tribus sans cohésion avec lesquelles nulle stabilité n’était possible.

« Malgré notre répugnance à donner à nos frontières une plus grande étendue, ces motifs ont été assez puissans pour déterminer le gouvernement impérial à établir la continuité de cette ligne avec le lac Issi-Koul et le Syr-Daria, en fortifiant la ville de Chemkend, récemment occupée par nous.

« En adoptant cette ligne, nous obtenons un double résultat ; d’un côté, la contrée qu’elle embrasse est fertile, boisée, arrosée par de nombreux cours d’eau ; elle est habitée en partie par des tribus kirghiz qui ont déjà reconnu notre domination ; elle offre donc des élémens favorables à la colonisation et à l’approvisionnement de nos garnisons. De l’autre, elle nous donne pour voisins immédiats les populations fixes, agricoles et commerçantes du Kokand.

« Nous nous trouvons en face d’un milieu social plus solide, plus compacte, moins mobile, mieux organisé, et cette considération marque avec une précision géographique la limite où l’intérêt et la raison nous prescrivent d’arriver et nous commandent de nous arrêter, parce que d’une part toute extension ultérieure de notre domination, rencontrant désormais non plus des milieux inconstans comme les tribus nomades, mais des états plus régulièrement constitués, exigerait des efforts considérables, et nous entraînerait, d’annexion en annexion, dans des complications infinies, et que d’autre part, ayant désormais pour voisins de pareils états, malgré leur civilisation arriérée et l’instabilité de leur condition politique, nous pouvons néanmoins assurer que des relations régulières se substitueront an jour, pour l’avantage commun, aux désordres permanens qui ont paralysé jusqu’ici l’essor de ces contrées. »


Ce manifeste était à peine expédié aux cours étrangères que la