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d’un côté Dost-Mohammed fonder par ses agrandissemens successifs un puissant empire aux portes de l’Inde ; de l’autre, elle se trouvait exposée aux reproches de la Perse, qui l’accusait de ne pas observer le traité de Paris, et de laisser les troupes afghanes menacer les frontières du Khorassan. Trop occupé de combattre l’insurrection hindoue, satisfait d’ailleurs d’apprendre qu’Hérat échappait à la cour de Téhéran, sir John Lawrence, qui avait succédé à lord Auckland, se contenta de faire au roi de Caboul de faibles remontrances dont celui-ci ne tint aucun compte ; mais Dost-Mohammed survécut peu à ses triomphes, et sa mort, arrivée en 1863, livra le pays aux convulsions de l’anarchie. Il avait désigné pour lui succéder son fils Shir-Ali-Khan ; ce choix provoqua la jalousie des frères aînés du prince, Azim et Afzul, qui se réunirent afin de lui disputer le trôné. Des batailles acharnées, des révolutions continuelles ensanglantèrent l’Afghanistan, et l’on ne peut pas savoir encore en ce moment quelle sera l’issue de la lutte. Abder-Rahman, fils de l’un des compétiteurs écartés par le vieil émir, ayant épousé à Boukhara la fille de Mozaffar, qui mit à sa disposition un corps de troupes considérable, est parvenu l’hiver dernier (1865-66) à chasser Shir-Ali de Caboul et à placer la couronne sur la tête de son propre père, aujourd’hui l’aîné des héritiers survivans de Dost-Mohammed. Les journaux de Saint-Pétersbourg ont vu dans ce dénoûment le résultat d’une trame habile ourdie par l’Angleterre pour liguer l’Afghanistan et le khanat de Boukhara contre l’invasion moscovite. L’alliance de famille contractée par Abder-Rahman devait sans nul doute lier ses intérêts à ceux de Mozaffar, et l’attitude menaçante de la Russie engagea les deux princes à se prêter un mutuel appui contre l’ennemi commun ; mais, bien que la Grande-Bretagne conserve en apparence une rigoureuse neutralité, elle a trop d’intérêt à tenir ses rivaux en échec pour ne pas avoir vu de bon œil se former contre eux un faisceau de résistances, ou même pour ne pas y avoir aidé.

La sourde hostilité des deux puissances européennes n’a pas, échappé à la sagacité des Asiatiques, et trois fois déjà des ambassadeurs ozbegs ont porté aux oreilles du gouverneur des Indes le cri de détresse des Kokandiens. L’Angleterre a laissé tomber Turkestan et Tachkend, elle a laissé le général Romanowski s’avancer jusqu’aux environs de Samarcande ; mais si la prise de Boukhara et l’occupation militaire de l’Amou-Daria suivent l’annexion du bassin de l’Iaxarte, il est peu probable qu’elle persiste plus longtemps dans cette réserve. Son point vulnérable est en Asie, personne ne l’ignore, et l’un des organes les plus autorisés de la presse britannique, la Quarterly Review, exprimait déjà l’an dernier