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l’on donnait des coups de bâton à nos soldats, nous n’aurions plus à redouter l’humiliation de Rosbach. Tous avaient plus ou moins tort et raison : la discipline sévère, les évolutions savantes, l’armement perfectionné, avaient eu leur part dans le succès des armées prussiennes; mais ce n’étaient que des élémens, des parties d’un grand ensemble, et c’était cet ensemble qu’il fallait embrasser et étudier. La vérité, c’est que la grande intelligence de Frédéric avait trouvé un puissant instrument dans le système d’institutions militaires ébauché, fondé par sec prédécesseurs, développé, complété par lui, adapté à son siècle et à son pays.

Et quand en 1866 on a vu la même puissance sortir soudainement d’un repos de cinquante années, mettre en œuvre des ressorts dont certains observateurs superficiels méconnaissaient l’élasticité et la force, obtenir enfin le triomphe le plus éclatant que l’histoire ait depuis longtemps enregistré, on s’est mis à surfaire après la victoire ce qu’on méprisait avant le combat, et nous avons pu lire des appréciations analogues à celles qu’avait fait éclore la guerre de sept ans. Il y a bien quelques différences : cette pénible contorsion qui récemment encore faisait le désespoir des conscrits et des instructeurs, le « pas oblique, » n’est plus de mode; le « fusil à baguette » est bon à mettre au musée des antiques, et qui donc maintenant oserait parler du bâton? Mais encore aujourd’hui, selon les uns, tout s’explique par l’emploi des mouvemens tournans, du télégraphe électrique et des chemins de fer; selon d’autres, c’est le fusil à aiguille qui a tout fait. Plus d’armée! répète un chœur nombreux, nous ne voulons qu’une landwehr.

Tout comme il y a cent ans, les jugemens qu’on porte actuellement pèchent par ce qu’ils ont d’exclusif; si l’on ne prend qu’un côté de la question, on l’envisage imparfaitement; il suffit de partir d’un point de vue trop étroit pour arriver à une conclusion fausse, et l’erreur ici peut mener loin. Il est inexact d’attribuer les dernières victoires des Prussiens à telle ou telle branche de leur système militaire, et ce serait faire injure au vainqueur que de chercher dans l’excellence même d’un système l’unique explication des événemens de l’été dernier. L’issue de la campagne de 1866 a tenu à des causes très diverses, dont quelques-unes sont frappantes, dont quelques autres ne sont pas suffisamment connues, et que d’ailleurs nous ne cherchons pas à exposer ici. Ce qu’il nous importe de dire et ce que nous croyons vrai, c’est que si la Prusse a pu presque instantanément mettre en ligne une armée considérable, très instruite, bien commandée, complètement pourvue, et, à défaut d’expérience, animée du plus vif sentiment de l’honneur; si elle a pu opérer à la fois sur l’Elbe, sur le Mein, dans la Thuringe,