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cependant une autorité sans bornes : il devait en certains cas prendre. l’avis d’un conseil des anciens du monastère, et dans les circonstances importantes consulter l’assemblée générale des moines. C’était une petite république.

La décadence est venue de bien des causes : d’abord de ces luttes mêmes de la papauté et de l’empire dans lesquelles le Mont-Cassin avait joué un rôle trop actif pour n’en pas ressentir les contrecoups ; elle a commencé en réalité, elle est devenue visible par l’affaiblissement de cette indépendance dont le droit d’élection approprié à une maison religieuse était comme le signe vivant. Et d’où est parti le premier coup ? De Rome même. Les guerres qui ensanglantaient ces contrées avaient pu ravager, diminuer le patrimoine de l’abbaye ; le régime commendataire introduit, imposé par la papauté, portait une irrémédiable atteinte à sa vitalité intérieure. Jusque-là, tant que l’élection florissait, le pape, en dehors de la confirmation du choix de la communauté, n’avait d’autre droit que celui de déléguer un administrateur temporaire pendant les vacances du siège abbatial. C’était ce pouvoir exceptionnel et transitoire qui s’appelait la commende. Bientôt l’exception devient la règle permanente. L’élection cesse, l’abbé régulier s’efface devant l’abbé commendataire, et l’opulent bénéfice va grossir les revenus des prélats de cour ou des fils de grande famille qui gouvernent de loin, qui restent étrangers à l’esprit de la communauté et en dénaturent la constitution. Alors se succèdent tous ces abbés remuans, ambitieux, fastueux, un cardinal Scarampa, qui partage avec le pouvoir abbatial le titre de légat apostolique en Orient et qui va faire la guerre aux infidèles, — un prince de la maison royale de Naples, Jean d’Aragon, un Jean de Médicis, qui sera Léon X. Ce n’est pas sans peine, il est vrai, que ce régime s’établit : il a plus d’une fois à vaincre la résistance des moines, puis il finit par triompher, et sous le poids de ce qu’on peut appeler une victoire de l’absolutisme l’abbaye s’affaisse dans sa vie intérieure diminuée, dans son opulence détruite.

Cette révolution, subie plutôt qu’acceptée, explique peut-être un fait assez curieux. En réalité, les moines ont à leur manière plus d’habitudes d’indépendance que le reste du clergé. Ils ont gardé quelque chose comme le sentiment de cette liberté relative d’autrefois, sentiment entretenu par la vie solitaire au-dessus des agitations et des intérêts de tous les jours, fortifié par les luttes qu’ils ont eu à soutenir quelquefois contre les juridictions épiscopales. Je n’entre pas, bien entendu, dans ces différends ; je ne veux remarquer qu’un phénomène moral, c’est que, parmi les ecclésiastiques italiens de notre temps, ceux qui ont été, ceux qui sont encore les plus libéraux, ont porté ou portent le froc, et c’est un des