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y a un danger à ce que ces ordres revivent ou se maintiennent par la liberté et dans la liberté ? Autre exemple : les corporations enseignantes comptent quelque chose comme 12,000 membres, 1,200 instituts, et enseignent 100,000 enfans. Où l’état trouvera-t-il de quoi remplacer immédiatement tous ces maîtres ? il y a mieux, les communes elles-mêmes, par économie, recherchent de préférence ces instituteurs, qui coûtent moins cher que les instituteurs laïques, et, comme elles sont souveraines, elles continueront à les rechercher. Quelques ordres survivront donc, mais il vivront sous l’empire du droit commun ; ce seront les plus utiles, ceux qui répondent à un vrai besoin, — et c’est ainsi que ce qu’il y a de vivace dans l’église peut toujours se produire sans que la société civile puisse en prendre ombrage ou en recevoir une atteinte. Et puis, quand même il y aurait quelques inconvéniens dans cette large pratique de la liberté religieuse, je répéterais avec M. Minghetti que ce sont des inconvéniens avec lesquels les. peuples virils doivent savoir vivre.

Il faut bien s’en souvenir, la liberté religieuse, « l’église libre dans l’état libre, » a été le mot d’ordre inscrit dès le premier moment sur le drapeau de la révolution italienne. C’est sous les auspices de la liberté que ce drapeau a fait son chemin et a gagné des victoires. Ce n’est pas une fantaisie d’esprits exaltés et chimériques, c’est une tradition de sept années ; ce n’est pas seulement une tradition, c’est un intérêt, puisque c’est la seule force morale devant laquelle le pouvoir, temporel doive tomber de lui-même, qui puisse résoudre la question de Rome. L’Italie a besoin aujourd’hui de se remettre en présence de ces traditions. Elle en est venue à une de ces heures de crise qui suivent souvent les grands succès, où les choses se rapetissent, où les passions et les intérêts subalternes, un instant comprimés, montent à la surface de la vie publique, — où l’un des hommes les plus éminens, dans un accès de tristesse, pouvait m’écrire récemment : « Me suis-je trompé quand j’ai cru que l’Italie ferait voir par son exemple ce que les institutions libérales peuvent pour la génération d’un peuple ? » Il ne s’est pas trompé et l’Italie a bien montré plus d’une fois qu’aux momens décisifs elle sait reprendre l’empire sur elle-même, retrouver son drapeau ; ce qui est certain, c’est que ce n’est point par des luttes vulgaires, par de petites révolutions ministérielles, que l’Italie achèvera ce qui lui reste à faire, c’est en s’inspirant de ses traditions, en se souvenant que ce qui a été fait par la liberté ne se conserve que par la liberté.


CHARLES DE MAZADE.