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tiers de Paris, avait reçu de Mayenne une charge de maître des comptes pour le récompenser de son dévouement à la ligue; mais son père était secrétaire d’état, et si fort en faveur qu’en 1655 le jeune François-Michel Letellier, le futur marquis de Louvois, eut la survivance de la charge paternelle : il n’avait pas quinze ans. Il fût donc en quelque sorte élevé pour les fonctions qu’il allait remplir, et dès l’enfance il s’y prépara par une énergique application. En 1662, après la disgrâce de Fouquet, il obtint l’autorisation de signer comme secrétaire d’état. Dès ce moment, le vieux Letellier se retire peu à peu, abandonnant à son fils les affaires de la guerre. De l’étude Louvois passe à l’action; son administration commence. Il arrivait avec des idées arrêtées et des connaissances spéciales très étendues; il n’apportait pas un système tout fait. Sans chercher à créer tout d’une pièce l’armée, les divers services, il se met à modifier, supprimer, réglementer, au fur et à mesure des besoins qui se révélaient, essayant tous les rouages qu’il avait sous la main, et ne les changeant qu’après les avoir reconnus mauvais ou usés, procédant avec méthode, ayant toujours sous les yeux un but bien défini, mais sans tout détruire pour tout réédifier à la fois.

Si on ne peut voir en lui une sorte de Sieyès militaire, on ne peut pas non plus le mettre sur la même ligne que Richelieu; ce serait faire à Louis XIV un rôle qui ne fut pas le sien. L’histoire ne tient pas compte de certaines apothéoses prématurées, œuvre éphémère des flatteurs : ce nom de « grand » si souvent prodigué par les panégyristes à gages, elle ne l’a donné qu’à peu d’hommes, mais elle l’a décerné à coup sûr : la postérité a continué de dire Louis le Grand; c’est un jugement qu’on peut tenir pour définitif. Associé à la pensée de son maître, animé des mêmes passions, entraîné par les mêmes tendances, Louvois fut plus qu’un commis; il ne fut jamais qu’un ministre. Serviteur parfois désagréable, trop souvent complaisant, sans pitié pour les fripons, sans merci pour les peuples, intègre, brutal, cruel, il établit dans l’ordre militaire la centralisation qui s’emparait de toute la France.

Son premier soin fut de faire compléter ses attributions : les marchés pour le logement, les étapes, les vivres et les hôpitaux étaient dans le département du contrôleur-général; il les lui enleva. Il fit aussi concentrer dans ses mains le service des fortifications, réparti jusque-là entre les divers secrétaires d’état. Plus tard il créa le « dépôt de la guerre, » et dans l’intérêt de sa propre gloire jamais son goût pour l’ordre et la méthode ne l’a mieux inspiré. S’il n’avait pas prescrit de conserver et déclasser l’amas de dépêches et de minutes qui s’accumulaient autour de lui, nous n’aurions pas l’excellent livre que M. Rousset lui a consacré, et qui nous a si bien