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christianisme dans sa majestueuse et écrasante unité, nous croyons volontiers que, pour lui résister et pour le combattre, il fallait avoir un esprit bizarre, infatué de lui-même, une obstination fantasque aussi puérile qu’impuissante. A plus d’un l’entreprise paraît tout simplement méchante et ridicule. À cette distance, on risque fort de se tromper. De si loin on peut voir sans doute quelle est la meilleure des deux causes, mais on ne distingue pas les mobiles des hommes. Il faut replacer son imagination au milieu même de la lutte, entrer dans la pensée des personnages, saisir leurs passions, compter pour quelque chose les divers incidens de la mêlée, apprécier les raisons des adversaires. Dans les grandes luttes humaines, chacun des deux combattans pense toujours avoir le droit de son côté, et en effet la justice des causes n’est pas tout d’abord si clairement définie que l’on puisse dire des champions : Celui-ci est un héros, celui-là un insensé.

Reportons-nous donc au IVe siècle pour voir ce qu’était alors le christianisme ou du moins ce qu’il devait paraître aux yeux des païens. Il ne faut pas oublier que la population de l’empire était peut-être aux trois quarts païenne, et que beaucoup de ceux qui se croyaient chrétiens n’étaient pas sûrs de leur foi. Bien des âmes, ne sachant que croire ni dans quelle religion se ranger, attendaient avec une pieuse anxiété que le dieu des combats fît pencher d’un côté ou de l’autre la balance. Constantin lui-même partagea un moment ces sentimens de la foule. Lorsque l’inculte soldat des Gaules descendit en Italie à la tête d’une armée pour combattre son rival Maxence, au moment de marcher sur Rome, de fouler le territoire sacré de la république, de donner l’assaut au Capitole, à la sainte citadelle de l’antique religion, il tomba en d’étranges perplexités. Quel auxiliaire divin appellera-t-il à son secours? Peut-il implorer les anciens dieux dont il va violer le domaine? Leur assistance d’ailleurs sera-t-elle assez puissante? Dans une circonstance aussi solennelle et décisive, un chef d’armée peut-il se confier à des dieux qui depuis quelque temps se sont laissé insulter impunément, dont les images ont été renversées quelquefois par des chrétiens sans que la vengeance divine ait puni le sacrilège? Il se rappela plus naïvement encore que trois des princes qui avaient partagé avec lui le pouvoir suprême, Hercule, Sévère, Galère, avaient péri par le glaive ou de mort violente, bien qu’ils eussent placé leur confiance dans la multitude des dieux. N’était-ce point courir moins de risques que d’implorer le dieu nouveau et de le mettre comme en demeure de déclarer sa puissance? Après bien des anxiétés, Constantin, dit M. de Broglie, « se décida à prier le Dieu de son père de prêter main-forte à son entreprise. » Il fut vainqueur, « et l’évé-