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On ne se figure pas non plus ce qu’était alors la société chrétienne ni quel ressentiment elle devait inspirer quelquefois à des païens. Une secte étrangère et exécrée, longtemps rampante sous le mépris public ou hautement rebelle aux lois, aux mœurs, à la religion de l’empire, qui jusqu’alors paraissait n’avoir su que braver follement des supplices mérités, marche maintenant la tête levée, elle a son empereur, elle a sa capitale, elle a transporté à Constantinople la fortune et la majesté de l’antique empire romain. Non contente de renier les dieux, elle les dépossède, démolit leurs temples, proscrit les saintes cérémonies, abat les idoles, vend à la criée les objets du culte, et, dépouillant les images sacrées de leurs pierreries et de leurs ornemens, elle se fait un plaisir sacrilège d’étaler le bois pourri que couvrait un brillant appareil, et d’entonner au milieu de ces exhibitions dérisoires ses psaumes abhorrés comme des chants de triomphe. L’image d’un supplice réputé infâme flotte sur les étendards des légions romaines, et, par un contraste que M. de Broglie appelle piquant, mais qui devait paraître odieux, les faisceaux sont obligés de s’incliner devant la croix. Il y a eu dans l’histoire des révolutions moins clémentes et de plus complets renversemens, jamais peut-être il n’y eut pour un peuple plus grande humiliation que celle qui fut infligée par le christianisme au peuple-roi.

Encore si la nouvelle religion avait désarmé ses ennemis par le spectacle de ses vertus et les bienfaits de la concorde qu’elle annonçait et semblait promettre! mais ses vertus étaient précisément de celles qui se cachent et qui ont leur asile dans le fond des consciences et l’obscurité des familles. Ce qui paraissait au grand jour n’était point fait pour inspirer le respect. La cour impériale et chrétienne était le théâtre des plus épouvantables tragédies. Déjà le grand Constantin, le défenseur de la foi, le promoteur du concile de Nicée, avait étonné le monde par la subite explosion de ses sentimens restés à demi barbares. Après avoir ordonné le meurtre de son fils Crispus sur de faux rapports, rappelé au sentiment de son crime par sainte Hélène, il ne sut que noyer ses remords dans le sang de ses conseillers, dont il fit un effroyable et mystérieux carnage, allant jusqu’à faire étouffer dans un bain brûlant sa femme Fausta, la mère de ses enfans. Les jeux et les fêtes qu’il donna avec un faste inaccoutumé, pour désarmer la réprobation du peuple, n’empêchèrent pas un long cri d’horreur de courir à travers tout l’empire. A peine le monde eut-il échappé à la sauvage, mais forte main de Constantin, et fut-il livré à ses fils indignes, les prédécesseurs immédiats de Julien, que la cour chrétienne offrit un spectacle plus honteux et plus lamentable. L’inepte et odieux Con-