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païenne n’avait jamais fait que discuter dans les écoles les problèmes religieux avec une modération tempérée par le goût littéraire, sans prosélytisme ardent et comminatoire. On vit donc alors avec étonnement éclater les horribles violences d’une foi jalouse. Si les querelles religieuses paraissent les plus honorables à ceux qui les soutiennent, elles sont en général regardées comme les plus abominables par ceux qui y sont désintéressés. La paix du monde était partout troublée par des schismes armés. Dans les ardentes provinces de l’Afrique, les donatistes violaient les églises des catholiques, pillaient, tuaient pendant plus d’un demi-siècle, et il fallut enfin que l’autorité politique les exterminât comme des brigands. Ailleurs c’étaient des émeutes chrétiennes pour ou contre un évêque qu’on voulait déposer. Cette funeste division prit des proportions immenses quand éclata l’hérésie d’Arius, qui niait la divinité du Christ. Le monde fut partagé entre les deux doctrines. Les catholiques et les ariens furent tour à tour vainqueurs et vaincus. L’arianisme, condamné par le concile de Nicée sous Constantin, fut au contraire adopté par son successeur Constance. Il devint religion d’état, et l’on vit ce singulier spectacle d’une religion — qui n’existait que parce qu’elle se regardait comme divine, — nier la divinité de son fondateur. Les grands évêchés de Constantinople et d’Alexandrie, les véritables citadelles de la foi, sont pris et repris par la ruse ou le courage. Les outrages réciproques traînent dans la boue l’autorité épiscopale. Pendant que deux évêques se disputent le siège de la capitale, la population décide le litige par le meurtre et l’incendie. La ville d’Alexandrie est conquise les armes à la main par un évêque usurpateur qui chasse l’héroïque Athanase, conduit une émeute à l’assaut d’une église et prend pour alliée la populace païenne afin d’assurer sa victoire; les prêtres sont foulés aux pieds, les sanctuaires livrés au pillage, les vierges dépouillées de leurs vêtemens, les cérémonies de l’église parodiées. Le temps des persécutions est revenu, mais cette fois ce sont des chrétiens qui persécutent les chrétiens. Naguère au concile de Nicée on se montrait du doigt avec un respect attendri les évêques martyrs, glorieux débris de la foi, qui levaient pour bénir leurs mains mutilées par la persécution païenne; maintenant au concile de Sardique on contemple aussi, mais avec une piété mêlée d’horreur, les cicatrices de martyrs nouveaux échappés à des tortures chrétiennes; on se passe de main en main des chaînes de fer, des instrumens de supplice apportés comme de saisissans témoignages des fureurs hérétiques. Orthodoxes et ariens se renvoient les anathèmes. Aux évêques d’Occident qui les condamnent, les évêques d’Orient répondent par d’autres excommunications. Tandis que les