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marchait qu’escorté de traîtres, de généraux et d’intendans apostés pour l’accuser et le perdre. Que dans un mouvement de reconnaissance vraie il ait composé un panégyrique de Constance avec une rhétorique mensongère en le comparant aux héros de l’Iliade, c’était un sacrifice à la mode littéraire du temps, un moyen de se faire pardonner ses victoires et de désarmer la jalousie par des complimens. Et ne peut-on point soupçonner qu’il n’a fait l’éloge de l’empereur que pour avoir le droit de faire celui de l’impératrice Eusébie, sa bienfaitrice, sa patronne, qu’il célèbre cette fois en termes ingénus et touchans? Il faut se rappeler toujours que Julien ne s’avançait qu’au milieu des pièges, que toutes ses démarches, ses paroles étaient rapportées à l’empereur, et qu’il était obligé de contenir même son cœur. On lui interdit jusqu’à l’amitié. Aussitôt qu’on apprend à la cour qu’il a un confident digne de lui, on le lui enlève, et on envoie son cher Salluste exercer des fonctions en Thrace : cruelle et humiliante séparation qui arrachait à Julien ces plaintes si tendres dans une lettre à son ami, où il se rappelle « ces fatigues partagées, ces affectueux saints de chaque jour d’une tendresse si sincère, ces entretiens tout pénétrés de vertu et de justice, cette communauté d’efforts pour le bien, ce même courage à résister aux méchans, une telle ressemblance de mœurs, une telle confiance d’amitié... A qui permettrai-je aujourd’hui de me traiter avec une noble franchise, qui me réprimandera avec douceur et tournera mon âme vers toutes les choses honnêtes? C’est moi que les sycophantes ont voulu percer en te blessant. » Voilà comme on le traitait, lui le sauveur de la Gaule, comme on s’entendait à le punir, s’il ouvrait son cœur même dans le commerce de la plus innocente amitié. Pourquoi donc s’étonner que devant son perfide entourage il ait fait mystère de ses pensées?

Nous voudrions insister un moment sur un de ces reproches de dissimulation à propos de la soudaine révolte militaire qui éleva Julien à l’empire, et qui fut, selon M. de Broglie, l’effet d’une conspiration ourdie par le césar lui-même. D’après le récit de l’historien, la révolte ne fut qu’une habile collusion entre le général et ses soldats; le lecteur tient tous les fils de l’intrigue, hâtons-nous cependant d’ajouter que c’est moins Julien que M. de Broglie qui est l’auteur de cette trame si finement tissée. Voici les faits dans leur simplicité et leur vérité historiques. Le faible Constance, battu par les Perses, ordonne à Julien de lui envoyer deux légions et des troupes auxiliaires auxquelles pourtant on avait promis de ne jamais les mener au-delà des Alpes. Julien désolé fait néanmoins exécuter l’ordre impérial : les troupes murmurent et ne veulent point aller sans retour aux extrémités du monde; toute la Gaule désespérée, se voyant privée de ses défenseurs et craignant de retomber