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delà. » Et c’étaient non pas de simples études, mais des exercices de l’âme. Toujours en face des images d’un Épaminondas ou d’un Marc-Aurèle qu’il se proposait comme exemples, il aspirait à montrer un jour en sa personne la philosophie sur le trône. À ses rêveries politiques, l’ardent disciple de Porphyre ajoutait encore ses rêveries plus hautes et plus chimériques sur la purification et la déification de l’âme. Initié à des cultes secrets, il ne se mettait jamais au travail sans invoquer à genoux Mercure, qui, d’après de mystérieux symboles, était considéré comme le principe, le moteur de toute intelligence. Telles étaient les habitudes journalières de ce mystique païen. Aussi dans cette nuit de la révolte, nuit de perplexités terribles où il fut tout à coup assiégé dans son palais par l’enthousiasme menaçant de son armée, il refusa de paraître. Les soldats ferment les issues pour ne pas laisser échapper celui qui, dans leur détresse, peut seul les sauver d’un ordre inique en devenant leur complice et leur empereur. En entendant leurs cris prolongés, plus redoutables encore que flatteurs, Julien, réfugié à l’étage supérieur, dans l’appartement de sa femme, levant les yeux par une fenêtre ouverte vers la voûte du ciel, pria Jupiter de lui envoyer un signe de sa volonté. Le génie même de l’empire lui apparut avec ces paroles : « Julien, je me tiens à ta porte depuis longtemps, tu m’as déjà plus d’une fois refusé l’entrée. Si tu me repousses encore, quand tant de gens me conduisent vers toi, je m’en irai triste pour ne plus revenir. » Voilà ce qu’il racontait plus tard lui-même. Ainsi nous n’avons point là sous nos yeux un ambitieux vulgaire, un artisan d’intrigues ; c’est un homme exalté par des vertus, par les abstinences, par l’orgueil, un amoureux de l’idéal politique, un philosophe dévot, un visionnaire si l’on veut, ou plutôt un ascète militaire.

Par une fortune bien rare à cette époque, il devint empereur sans verser une goutte de sang. Toujours réservé et prudent, espérant éviter la guerre civile, il écrivit des lettres à Constance pour se justifier et déclarer qu’il se contenterait de sa province. Constance ne veut rien entendre et se prépare à la guerre. Les deux empereurs marchent l’un contre l’autre, et le monde chrétien en suspens ne sait pour qui faire des vœux. « Chacun sentait instinctivement, dit M. de Broglie avec éloquence, que les situations naturelles étaient renversées et que personne n’était dans son rôle. Le représentant du vieux culte de l’orgueil et des sens était un jeune homme de mœurs austères et simples, modestement éclairé d’un rayon de gloire. Vieilli avant l’âge par la vie des cours, le défenseur de l’Évangile s’avançait, comme une idole fardée, au milieu d’une pompe ridicule et portait sur ses vêtemens la tâche du sang des chrétiens. » Heureusement la mort de Constance épargna une