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héros disparurent de la scène du monde, Turenne pour descendre dans le caveau de Saint-Denis, Condé pour s’enfermer dans la retraite, Créqui et Luxembourg succédèrent à leurs maîtres, marchèrent sur leurs traces, mais sans rencontrer les mêmes difficultés. Les alliés étaient devenus plus modestes; ils étaient passés à la défensive. Louis XIV prenait beaucoup de villes, c’était devenu le grand objet de la guerre; la paix était dans l’air, il fallait pouvoir négocier pièces en main, travailler à « faire le pré carré. » Les hommes, les moyens ne manquaient ni aux ingénieurs ni aux généraux; l’effectif en 1678 avait atteint le chiffre de 280,000 hommes; aucune place ne résistait à Vauban, et celles qu’il avait retouchées devenaient à peu près imprenables. Tout justifiait les prévisions de Louvois. Notre cavalerie, qui avait eu quelque appréhension des cuirassiers de l’empereur, les chargeait maintenant partout où elle les rencontrait. Notre infanterie n’avait pas d’égale : surprise à Saint-Denis, près de Mons, écrasée par le nombre, elle soutint et rétablit le combat par sa solidité. Cette sombre bataille fut le dernier épisode de la guerre : elle fut livrée entre deux généraux qui avaient en poche la nouvelle de la paix, engagée par Guillaume avec la haine sauvage qu’il portait aux Français, acceptée par Luxembourg avec la légèreté cruelle qui ternissait alors ses brillantes qualités. Il eût suffi d’envoyer un trompette avec un mouchoir blanc pour sauver la vie à cinq ou six mille hommes.

Ce n’était pas l’humanité qu’on apprenait à l’école de Louvois, non qu’il eût inventé ces effroyables dévastations au souvenir desquelles on a rattaché son nom : le « dégât, » comme on disait, était depuis longtemps dans la pratique de la guerre, et l’incendie du Palatinat ne dépasse pas en horreur le ravage que l’armée de Galas avait fait en Bourgogne pendant l’invasion de 1636; mais le ministre de Louis XIV avait introduit dans la destruction la méthode qu’il apportait partout. Il en fit une mesure administrative, et les intendans, trouvant aussi naturel de ruiner un pays que de nourrir un régiment, apportaient indistinctement le même zèle à l’exécution d’ordres barbares qu’à l’accomplissement de leurs fonctions habituelles. Les généraux bons vivans, comme Luxembourg, riaient volontiers de la brûlerie; les hommes graves, comme Turenne, comme le vertueux Catinat lui-même, laissaient faire sans mot dire; un seul, à son éternel honneur, protesta, ce fut Condé. Il y avait quelques malheureuses contrées comme le Palatinat, le Waez, le Brisgaw, sur lesquelles on s’acharnait particulièrement, et Louvois se complaisait dans le spectacle de ces œuvres effroyables. Deux mois avant la paix de Nimègue, au retour d’un voyage par-delà le Rhin, il mandait à son père avec une sorte de joie féroce :