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Examinons maintenant quelles modifications l’ancienne extension des glaciers dans les Alpes, les Pyrénées, les Vosges, a dû exercer sur le climat et la végétation des plaines environnantes. Actuellement encore les glaciers sont une cause de refroidissement pour les vallées dans lesquels ils descendent; néanmoins ces vallées sont habitables toute l’année : je me contenterai de nommer celles de Chamonix, de Grindelwald, de la Haute-Engadine, de Zermatt, et toutes les vallées latérales du Valais. Le blé, le seigle ou l’orge mûrissent au contact de la glace; on cultive dans son voisinage presque tous les légumes du nord de la France, les pommes de terre, le chou, les raves, les carottes, etc. Les prairies sont d’une beauté incomparable, et nourrissent les animaux les plus utiles à l’homme, le cheval, le bœuf, le mouton et la chèvre. Une foule d’arbres forestiers, le pin sylvestre et le pin cembro, le sapin, la sapinette, le mélèze, le hêtre, l’érable, l’aune, etc., acquièrent avec les années des dimensions colossales. Tous les voyageurs qui visitent la Suisse sont émerveillés du nombre de plantes qui croissent sur les rives même des glaciers, tous admirent la variété et la vivacité de couleur des fleurs qui s’y épanouissent. On avait remarqué depuis longtemps que beaucoup de ces plantes étaient des plantes arctiques ou boréales. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple, la flore phanérogamique du cône terminal du Faulhorn, dans l’Oberland bernois, dont la pointe est à 2,683 mètres d’altitude, se compose de 132 espèces, dont 40 existent également en Laponie et 11 au Spitzberg[1]. Dans les Pyrénées, le sommet du Pic du midi de Bigorre s’élève à 2,877 mètres au-dessus de la mer. Ramond y a observé 72 espèces phanérogames dans un espace de quelques ares seulement; sur ce nombre, 14 sont lapones et 5 vivent encore au Spitzberg[2]. C’est pendant la période glaciaire que ces plantes se sont avancées de proche en proche depuis la Laponie à travers les montagnes de la Scandinavie, de l’Allemagne et des Vosges, où elles ont laissé des types qui se sont propagés jusqu’à nos jours. Les tourbières des Alpes de la Bavière et du Jura se composent presque exclusivement de plantes lapones. Il y a plus, des espèces Scandinaves se sont maintenues après l’époque glaciaire dans les vallées humides et froides du canton de Zurich malgré le réchauffement du climat. En résumé, M. Heer compte aujourd’hui en Suisse 360 espèces alpines, dont 158 se retrouvent

  1. Ranunculus glacialis, Cardamine bellidifolia, Silene acaulis, Arenaria biflora, Dryas octopetala, Erigeron uniflorus, Saxifraga oppositifolia, S. aizoides, Polygonum viviparum, Oxyria digyna et Trisetum subspicatum.
  2. Voyez sur ce sujet la Revue du 15 juillet 1864 et le livre intitulé Du Spitzberg au Sahara, p. 83.