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cipes auxquels il faut toujours plus ou moins revenir; il « organisa la victoire » sans lui sacrifier la liberté, et malgré ses fautes nous ne lui marchanderons pas ce sublime éloge, qu’il avait habitué le soldat français à considérer comme la plus belle des récompenses : « il a bien mérité de la patrie. »

Quelques traits ajoutés au tableau que nous avons tracé de l’armée de Louis XIV suffiront pour dépeindre celle de Louis XVI. Les réformes si courageusement et d’abord si heureusement tentées par ce dernier prince dans l’ensemble du système monarchique n’avaient pas touché à l’état militaire. C’était celui de Louvois, perfectionné sans doute dans quelques parties, mais atteint d’une sorte de marasme général et infesté de nouveaux abus. On n’était pas sorti de l’ornière du « racolage; » les milices provinciales, qui, au moment de la guerre de sept ans, avaient reçu un certain développement et rendu de vrais services, avaient été de nouveau négligées; d’ailleurs la façon arbitraire dont se pratiquait le tirage au sort avait dépopularisé cette institution, la plupart des cahiers des états-généraux en demandaient la suppression. Les 166 régimens de ligne, infanterie et cavalerie, présentaient un assez faible effectif; mais ces troupes étaient bien exercées. On avait élaboré au camp de Saint-Omer un règlement excellent qui, promulgué en 1791 et peut-être trop servilement copié depuis lors, sert encore de base à nos règlemens de manœuvres actuels; les instructeurs formés dans cette période furent d’un grand secours un peu plus tard. Les généraux, les officiers supérieurs étaient beaucoup trop nombreux, quelques-uns instruits, appliqués, presque tous sans expérience. Depuis longtemps, la paix n’avait été troublée que par la guerre d’Amérique, qui avait employé peu de monde et présentait un caractère particulier. Le corps de l’artillerie et celui du génie ne laissaient rien à désirer; le matériel créé par Gribeauval était le meilleur de l’Europe. Les écoles militaires, organisées depuis cinquante ans et maintenues à travers des vicissitudes diverses, avaient surtout profité aux armes spéciales, tout en élevant dans l’ensemble du cadre le niveau des connaissances. L’esprit de caste qui dominait parmi les officiers était plus que jamais exclusif; sauf quelques exceptions qui prouvaient la règle, la porte des honneurs militaires restait fermée à qui n’était pas ou ne se prétendait pas gentilhomme, et cependant cette brillante noblesse, toujours brave, aimable, dévouée, avait été durant le XVIIIe siècle moins féconde en capitaines qu’à d’autres époques de la monarchie : de là un certain discrédit, injuste à beaucoup d’égards, mais très répandu, qui la frappait au point le plus sensible.

On comprend quel effet produisit dans une armée ainsi composée le coup de tonnerre de 89, dans quel désarroi elle fut jetée par