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des provisions de guerre dans les Açores, et lorsque l’armée de dom Pedro entra en campagne, il se chargea de payer, d’équiper et de nourrir les soldats. On sait comment cette guerre se termina heureusement pour Richard Thornton et pour la fille de dom Pedro en 1834. À peine avait-il liquidé les affaires du Portugal qu’il lui fallut défendre de son or une autre jeune infante contre un autre prétendant. On assure que Thornton fut alors créancier de l’Espagne pour la somme de 2 millions de livres sterling (50 millions de francs).

Ce marchand qui faisait des reines était chez Lloyd’s membre de l’association des underwriters depuis 1798. Tous le regardaient comme le lion de l’endroit, et de même que le noble animal confiant dans sa force dédaigne certaines précautions dont s’environnent ses rivaux, il avait une manière souveraine et tout à lui de traiter les affaires. Tandis que les autres assureurs divisent ordinairement entre eux la responsabilité des risques, de manière que la perte d’un navire ou d’une cargaison tombe, en cas de malheur, non sur un seul, mais sur une vingtaine ou une trentaine d’individus solidaires, Richard Thornton au contraire, un contre tous, acceptait, le front levé, des hasards à faire trembler la fortune d’un roi. Le secrétaire de Lloyd’s me racontait l’avoir vu s’engager un jour avec le plus grand sang-froid pour 200,000 liv. sterl. dans une seule ligne d’écriture. Avant la dernière guerre entre son pays et la Russie, il assurait de temps en temps sur ses propres ressources toute une frégate à vapeur construite dans les chantiers anglais pour le compte du gouvernement moscovite. Un jour qu’un ami s’effrayait de la hardiesse d’un marché semblable conclu avec une autre puissance étrangère : « Oh! répliqua Thornton, s’ils perdent le vaisseau de guerre que je viens d’assurer, j’ai assez dans mon portefeuille pour les payer avec leurs propres billets. »

Quoique ce marchand de la Cité de Londres fût à coup sûr une exception, on peut juger par un tel exemple de la fortune de certains négocians anglais et de l’influence qu’ils exercent dans le monde. Or il n’est guère un de ces riches nababs du commerce qui ne tienne à Lloyd’s par des liens plus ou moins intimes. Qui ne devine dès lors ce qu’un tel concours de capitaux et de renommées apporte de valeur à l’association? La régularité avec laquelle les underwriters font honneur à leurs engagemens est proverbiale. À peine les preuves matérielles d’une perte ou d’un naufrage sont-elles fournies à l’assureur, que les comptes sont aussitôt réglés, et un mois après l’assuré reçoit son argent. Cette promesse, comme on dit, vaut un billet de banque. La confiance et la sécurité étant l’âme de ces sortes d’affaires, on comprend que