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seau à deux cents enfans abandonnés[1]. Quelques-uns des nouveaux hôtes du Chichester ont passé deux ou trois ans dans les rues de Londres sans jamais dormir sous un toit, pas même sous celui du casual ward. Préférant leur liberté à ce triste réduit de la charité publique, ils couchaient dans les ruines des maisons qu’on démolit chaque jour à Londres, derrière les bornes, sous les arches des ponts. Il y a ainsi dans la capitale de l’Angleterre plusieurs milliers d’enfans dont les uns ont quitté le toit, souvent très peu paternel, sous lequel ils avaient eu le hasard de naître, dont d’autres ont été abandonnés par leur famille, ou bien encore qui ont été laissés sur le pavé par la mort d’une mère. La rue les prend, les adopte et les élève. Londres est pour eux un désert où, perdus dans les sables mouvans de la foule, ils retrouvent toujours leur chemin. La plupart d’entre eux prennent même un goût singulier pour ce genre de vie sauvage et amère. Ils aiment la belle étoile et ne craignent la nuit que l’œil de la police : leur jeune esprit, fertile en ressources, se glorifie dans l’indépendance et dans la lutte; mais, s’ils ne sont point arrêtés à temps sur cette pente fatale, ils gravitent inévitablement vers la prison et le tread-mill. Peut-il en être autrement, et à qui la faute ? C’est pour décharger d’un remords la conscience de la société que les moralistes anglais ont dirigé dans ces derniers temps leur attention sur les meilleurs moyens de venir en aide aux petits arabes. À quoi ces enfans sont-ils bons ? On a cru et avec raison qu’ils convenaient surtout à la marine.

Aventureux, endurcis à toutes les privations, habitués dès l’âge le plus tendre à ne compter que sur eux-mêmes, ne sont-ils pas bien le bloc dans lequel on taille le matelot anglais ? Ayant du sang errant dans les veines, ne sont-ils point préparés à courir le grand désert des eaux ? Ceux qui ont été admis jusqu’ici à bord du Chichester justifient complètement ces espérances. Le capitaine Alston rend le meilleur témoignage de leur intelligence, de leur activité, même de leur soumission à la discipline. Je les ai vus moi-même se livrer avec ordre et avec énergie à certaines manœuvres, sous la direction de trois braves matelots qui les instruisent et les dirigent. Si cette expérience réussit, comme il y a tout lieu de le croire, l’œuvre s’étendra naturellement, et ce sera non pas un seul vaisseau, mais quinze ou vingt navires qui, amarrés dans la Tamise ou à l’embouchure des autres fleuves de l’Angleterre, recueilleront

  1. Le comité se propose de diviser ses ressources en trois classes : cent enfans resteront dans le refuge ; deux cents seront envoyés à bord du training ship pour s’instruire et se familiariser avec la vie de mer, et enfin une maison de campagne (country house), avec cent acres de terre, servira de ferme-modèle pour former cent autres adolescens aux travaux de l’agriculture.