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se parlent des deux côtés des Pyrénées. Actuellement ce qui protège le basque avec le plus d’efficacité contre les envahissemens du français et du castillan, c’est l’ignorance dans laquelle croupissent encore les populations. Les habitans de quelques hauts vallons des montagnes n’ont aucun souci du monde extérieur, et les événemens contemporains n’ont dans leurs hameaux qu’un très faible écho. Ils ne lisent point de journaux ; ils n’ouvrent point de livres, si ce n’est parfois un recueil de prières ou bien un almanach acheté dans une foire. Un grand nombre d’enfans ne vont pas à l’école primaire, et l’instituteur qui leur enseigne le français ou l’espagnol est obligé de se servir lui-même d’un dialecte eskuara plus ou moins mélangé. On s’imaginera facilement quel est l’état de l’instruction publique dans un pays où les parens affligés d’un fils paresseux ou sans intelligence, incapable de devenir un vaillant laboureur, se consolent par ce dicton devenu proverbial : « nous en ferons un curé ou un maître d’école ! » Heureusement les connaissances ne peuvent manquer de se répandre bientôt d’une manière générale parmi ces populations d’un esprit naturellement si vif et si ouvert. Dans ce siècle de prodigieuse activité, où la « bataille de la vie » condamne à la ruine tous ceux qui restent en arrière, les Basques apprendront, eux aussi, à marcher d’un pas de plus en plus rapide, mais ce sera au prix de leur nationalité et de leur langue elle-même. De leur magnifique idiome, désormais rangé parmi les choses du passé, il ne restera plus que des lexiques, des grammaires, quelques pastorales, de mauvaises tragédies modernes et des chants d’une antiquité contestée.

III.

Comme pour hâter la disparition prochaine du groupe distinct que leur race forme encore dans l’humanité, les Basques émigrent en grand nombre, et laissent derrière eux des places vides que dès lors Béarnais, Français et Espagnols viennent occuper en partie. Ils abandonnent les bruyères aimées de leur pays natal, et vont au loin chercher l’aisance que la culture de la terre leur donnerait seulement après bien des années de labeur. Ceux d’entre eux qui habitent les hautes vallées partiellement emplies de neige pendant l’hiver descendent par centaines avant les mois de la saison froide, et vont exercer temporairement quelque industrie lucrative dans les villes de la plaine ; d’autres, entraînés par l’amour des aventures qui est chez eux un instinct de race et qui fit de leurs ancêtres de si hardis pêcheurs de baleines, partent sans désir de retour prochain, et, bien différens de la grande masse des timides paysans français,