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vont de l’autre côté des mers se compose d’hommes sains de corps et d’intelligence, dans la vigueur de l’âge et de la volonté ; ils sont la véritable élite de la nation, et par leur absence la valeur de la population fixe se trouve relativement diminuée. Le gros des habitans restés dans les villages consiste surtout en vieillards qui vont s’éteindre successivement avec les souvenirs de la race elle-même, en enfans dont la plupart vont sans doute émigrer à leur tour, et en femmes, qui toutes ne sont point destinées à connaître les joies de la famille et que les nécessités du gagne-pain chasseront de la patrie. Depuis trente ans que les Basques ont ainsi tourné leurs désirs vers le Nouveau-Monde, c’est-à-dire dans l’espace d’une génération, le quart des hommes valides a déjà quitté le pays natal. Chaque année, malgré les guerres et les révolutions des provinces de la Plata, le mouvement d’émigration s’y porte avec une rapidité de plus en plus grande, et dans certains villages des Pyrénées il menace de se changer en une véritable fuite. On le comprend, lorsque la nation elle-même s’en va, comment la langue, divisée d’ailleurs en plusieurs dialectes très différens les uns des autres, pourrait-elle résister à la pression des deux idiomes envahissans qui l’assiègent ? Aussi le nombre de six cent mille que l’on donne encore comme celui des Euskariens parlant leur langue maternelle est-il sans doute trop élevé, et ne peut manquer de se réduire rapidement dans un avenir très prochain[1]. Enfin le basque sera rayé des langues d’Europe comme le cornish, l’erse, le manx et le wende, puis avec l’idiome disparaîtront aussi les anciennes mœurs et les traces de l’antique nationalité.

Certes, en voyant se perdre au milieu des populations environnantes ce dernier groupe distinct qui restait encore de l’ancien monde ibère, il est impossible de ne pas éprouver un sentiment de tristesse, car, parmi les races humaines, les Basques étaient vraiment une des plus nobles, et même à beaucoup d’égards leur état social était supérieur au nôtre. Ce n’est point là un paradoxe : l’histoire et les lois des fédérations pyrénéennes témoignent hautement de la prééminence que leur donnaient sur les sociétés voisines leur droiture, leur générosité, leur amour jaloux de l’indé-

  1. Au 31 décembre 1854, la population des deux provinces de Guipuzcoa et de Viscaya, où l’on parle presque exclusivement le basque, sauf dans les grandes villes, s’élevait à 347,470 âmes. La Navarre et la province d’Alava, où l’espagnol est probablement la langue des trois quarts des habitans, avaient ensemble un total de 411,820 personnes. Quant au pays basque français, c’est à 120,000 au plus que l’on peut y fixer le nombre de ceux dont le langage usuel est encore un dialecte euskarien. Relevée commune par commune, la population basque française aurait été en 1866 de 123,810 habitans ; mais il faut en défalquer les étrangers domiciliés dans les villes de Saint-Palais, Mauléon, Saint-Jean-de-Luz, Hendaye, etc. De 1861 à 1866, la diminution des habitans dans le pays basque des Basses-Pyrénées a été de 1808.