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fois du repos, de la nature et de la société les uns des autres. Un de ces lieux de réunion, bien grandiose en comparaison des salles de danse de nos cités, est le plateau d’Ahusky, entre Saint-Jean-Pied-de-Port, Mauléon et Tardets. C’est une pelouse gazonnée de plusieurs kilomètres de long, où les eaux de pluie, faute d’un écoulement suffisant, se sont creusé de distance en distance de profonds entonnoirs obstrués de ronces et de broussailles. Plusieurs croupes revêtues de bruyères garantissent le plateau des vents du nord et de l’ouest ; mais au sud la vue s’étend librement sur un horizon semi-circulaire de vallées en culture et de montagnes noires de forêts. C’est en face de ce magnifique tableau, sur les gazons d’une haute terrasse dressée à plus de 900 mètres au-dessus des plaines, que paysans et paysannes se délassent joyeusement de leurs fatigues de l’année. À leurs pieds, ils voient s’ouvrir le profond ravin d’Aphoura, où Roland s’amusait, dit-on, à jouer à la palette avec d’énormes pierres qui hérissent le sol, et, comme ce héros légendaire, ils s’exercent aux jeux de force et d’adresse : les jeunes filles elles-mêmes combattent sur la pelouse et de leurs groupes s’échappe un rire incessant. Quand le temps est favorable, le plateau d’Ahusky est, du matin au soir, un champ de lutte et de course où tous, sauf les vieillards, figurent tour à tour comme spectateurs et combattans. Ainsi s’écoulent les journées de repos ; puis, quand les montagnes se voilent et que la saison devient pluvieuse, les hommes reprennent leur bâton noueux, les femmes remontent à cheval en enveloppant le nourrisson dans leur manteau de laine, et les caravanes, se dirigeant chacune vers sa vallée, descendent en longues files sur les pentes de la montagne.

Ces assemblées des Basques sur les hautes cimes de leurs Pyrénées sont, on ne saurait le nier, bien autrement belles que les réunions bruyantes et avinées des « jubilés » et des « fréries » dans la plupart des villages du centre et du nord de la France ; malheureusement l’exploitation mercantile, la surveillance tracassière de l’administration et les usages modernes ont déjà bien modifié et finiront par changer complètement ces fêtes des Basques, qui naguère encore étaient à la fois si joyeuses et si décentes dans leur liberté. Les mœurs se perdent en même temps que la langue, et, suivant le pays auquel ils appartiennent politiquement, les Euskariens deviennent Espagnols ou Français. Toutefois, il ne faut point voir un malheur dans cette union qui s’accomplit : en dépit des regrets que doit occasionner la disparition de ce qu’il y avait de noble dans les anciennes coutumes nationales, on ne saurait cependant déplorer la fusion graduelle qui s’accomplit entre les descendans des Ibères et ceux des Gaulois, des Romains, des Visigoths, car c’est à la